« J’avais un si bon peuple »

C’était le 11 novembre 1980, moment inoubliable, l’un des plus beaux jours de ma vie. En la fête de saint Martin, je me donnais tout entier à Dieu par ma consécration au service de l’Eglise dans la Congrégation des Religieux de Saint Vincent-de-Paul  « vouée à l’évangélisation des milieux populaires ». Ayant grandi dans une famille pauvre, ayant poussé au sein d’un patronage tenu par des Pères et des Frères, je portais en mon cœur le désir de me donner sans réserve aux petits et aux pauvres. Mon modèle : Saint Vincent-de-Paul. Ce géant de la charité me fascinait. Au cours de la retraite préparatoire à mes premiers vœux, j’avais clairement pris la résolution de chercher à lui ressembler. J’avais de belles aspirations à être saint comme lui était saint. Sur une feuille de papier, j’avais écrit ces quelques mots qui se voulaient être le programme de toute ma vie : « Être toujours là où le Seigneur me veut, à faire ce qu’il veut, comme il veut, quand il veut. Que ma joie soit toujours dans le Seigneur ».

Nous sommes en 2018. Les années ont passé. Je ne suis pas Monsieur Vincent, tant s’en faut. Je crois m’être efforcé de faire de mon petit mieux. Le résultat peut paraître pitoyable mais, par-delà mes faiblesses, mes défauts et mes péchés, je crois n’avoir jamais capitulé devant mon idéal et avoir toujours cherché à le raviver. Saint Vincent-de-Paul reste pour moi un merveilleux modèle ; j’aime profondément ma Congrégation ; je porte toujours en mon cœur le souci des petits et des pauvres … et je trouve ma joie à être là où le Seigneur me veut, à faire ce qu’il veut, comme il veut, quand il veut … même si j’y parviens bien mal.

J’ai toutefois quelques points communs avec Saint Vincent-de-Paul. La nouvelle mission qui vient de m’être confiée et qui va m’éloigner de l’œuvre  » Notre-Dame de Nazareth « , me le rappelle et le met en lumière.  Parlant de ses 16 mois comme curé de Clichy en 1612 et 1613, Monsieur Vincent pouvait affirmer : « J’avais un si bon peuple et si obéissant à faire ce que je lui demandais que (…) je voyais de jour en jour le profit que faisaient ces âmes ». Au Cardinal de Retz qui lui demandait un jour comment il allait, cet humble curé répondit : « Monseigneur, je suis si content que je ne le vous puis dire … C’est que j’ai un si bon peuple, si obéissant à tout ce que je lui dis, que je pense en moi-même que ni le Saint Père, ni vous, Monseigneur, n’êtes si heureux que moi ».

Au terme de douze années comme curé de notre paroisse Notre-Dame de Nazareth, tel est bien ce qui monte en mon cœur. Je me dis et me répète : « J’avais un si bon peuple ». J’ai déjà eu à vous le confier : je ne crois guère qu’il y ait eu à Paris un curé plus heureux que moi durant ma mission parmi vous. Je veux vraiment en rendre grâce à Dieu.

Merci à vous tous pour votre accueil et votre écoute, votre confiance et votre indulgence, votre bienveillance et votre dévouement, votre disponibilité et vos multiples attentions, ainsi que pour votre engagement dans la mission. Merci surtout pour votre cœur ouvert à l’action de la grâce et le témoignage de vos progrès spirituels.  Merci pour ces liens qui se sont tissés entre nous et entre vous, et qui ont maintenu ici un bel esprit de famille si cher à notre fondateur, Jean-Léon Le Prevost.

Et pardon pour toutes mes fautes et mes contre-témoignages, mes négligences et mes manques de charité. Pardon de n’avoir pas été, autant que vous étiez en droit de l’attendre, un pasteur selon le cœur de Dieu.

Monsieur Vincent, en ces années 1612-1613, n’était pas encore un saint. L’Esprit-Saint l’a arraché à sa chère paroisse. Cet humble curé s’est montré docile à la volonté de Dieu et s’est laissé façonné, au fil des ans, par la grâce toute puissante de son divin Seigneur. C’est ainsi qu’il est devenu le grand saint qui a tant apporté à l’Eglise et au monde.

Aujourd’hui, accueillant dans la foi ma nouvelle mission, je renouvelle ma résolution d’être toujours là où le Seigneur me veut, à faire ce qu’il veut, comme il veut, quand il veut. Que ma joie soit toujours dans le Seigneur !

Priez pour moi comme je continuerai de prier pour vous. Priez pour que je ravive à nouveau mon désir ardent de ressembler davantage à mon beau modèle de sainteté, à savoir Monsieur Vincent.

Père Gilles Morin, Curé