La priorité des priorités

« Les conflits dans le monde, les difficultés relationnelles proviennent du fait que nous sommes enfermés dans nos propres intérêts et dans nos opinions personnelles, dans notre minuscule monde intérieur. L’égoïsme, celui du groupe comme celui de l’individu, nous tient prisonnier de nos intérêts et de nos désirs, qui s’opposent à la vérité et nous séparent les uns des autres. Réveillez-vous, nous dit l’Évangile. Venez dehors pour entrer dans la grande vérité commune, dans la communion de l’unique Dieu. Se réveiller signifie ainsi développer sa sensibilité pour Dieu, pour les signes silencieux par lesquels il veut nous guider, pour les multiples indices de sa présence. Il y a des personnes qui disent être « religieusement privées d’oreille musicale ». L’aptitude à percevoir Dieu semble presque un don qui est refusé à certains. Et en effet – notre manière de penser et d’agir, la mentalité du monde contemporain, l’éventail de nos diverses expériences sont de nature à affaiblir la sensibilité à Dieu, à nous « priver d’oreille musicale » pour Lui. Et pourtant dans toute âme est présente, de façon cachée ou ouverte, l’attente de Dieu, la capacité de le rencontrer. Pour obtenir cette vigilance, cet éveil à l’essentiel, nous voulons prier, pour nous-mêmes et pour les autres, pour ceux qui semblent être «privés d’oreille musicale» et chez qui, cependant, le désir que Dieu se manifeste est vif.

…/… Les bergers, après avoir entendu le message de l’ange, se dirent l’un à l’autre: « Allons jusqu’à Bethléem … Ils y allèrent, sans délai » (Lc 2, 15ss). « Ils se hâtèrent » dit littéralement le texte grec.

…/… Dans notre vie ordinaire, il n’en va pas ainsi. La majorité des hommes ne considère pas comme prioritaires les affaires de Dieu, celles-ci ne nous pressent pas immédiatement. Et nous aussi, pour l’immense majorité, nous sommes disposés à les renvoyer à plus tard. Avant tout nous faisons ce qui, ici et maintenant, apparaît urgent. Dans la liste des priorités, Dieu se retrouve souvent presque à la dernière place. Il sera toujours temps – pense-t-on – de s’en préoccuper. L’Évangile nous dit : Dieu a la plus grande priorité. Si quelque chose dans notre vie mérite urgence, c’est, alors, seulement la cause de Dieu.

…/…C’est précisément cette priorité que nous enseignent les bergers. Nous voulons apprendre d’eux à ne pas nous laisser écraser par toutes les choses urgentes de la vie quotidienne. Nous voulons apprendre d’eux la liberté intérieure de mettre au second plan les autres occupations – pour importantes qu’elles soient – pour nous approcher de Dieu, pour le laisser entrer dans notre vie et dans notre temps. Le temps consacré à Dieu et, à partir de Lui, à notre prochain n’est jamais du temps perdu. C’est le temps dans lequel nous vivons vraiment, dans lequel nous vivons en tant que personnes humaines.

(Benoît XVI : Extraits de l’homélie de la messe de la nuit de Noël 2009)

Avancez sous nos applaudissements

Dans la nuit de Noël, alors que la procession solennelle s’avançait dans la nef de la basilique Saint Pierre de Rome, une jeune femme, sautant les barrières de sécurité avec une étonnante souplesse, s’est précipitée vers le Pape qui, bousculé, est tombé. Panique, inquiétude, cris de la foule … puis interruption de l’orgue, silence de la schola … attente angoissée … mais le Pape s’est relevé. C’est sous les applaudissements des fidèles qu’il a remonté la nef pour aller jusqu’à l’autel afin de célébrer la naissance du Sauveur. Ces derniers jours, les medias se complaisaient à ironiser sur sa santé. Sous le coup de cet événement et avec sa simplicité habituelle, Benoît XVI a manifesté sa vigueur  dans l’accomplissement de sa mission. Des bousculades, il en a connu d’autres, verbales et médiatiques, ironiques voire sarcastiques. Mais le Saint Père, « doux Christ sur notre terre », est là, toujours bien là, pour proclamer à temps et à contretemps le message de salut, la bonne nouvelle de Dieu qui nous aime jusqu’à la folie de se faire fragile et tout-petit.

« Du Christ et de l’Eglise, c’est tout un » disait Jeanne d’Arc. Au fil des siècles, dans une histoire parfois mouvementée, confrontée à bien des péripéties et déboires, l’Eglise a été elle aussi bousculée. On prédisait son extinction, on la voyait vaciller ; il semblait qu’elle ne puisse se relever. Mais l’Eglise notre mère, elle qui nous a enfantés à la vie divine, elle qui ne cesse de célébrer Noël, de nous montrer et de nous donner le Christ en chaque eucharistie … cette Eglise est toujours là, bien présente, bien vivante, dans l’accomplissement de sa mission. Ne mérite-t-elle pas nos applaudissements ?

L’Eglise est une grande famille ; nos familles chrétiennes sont une Eglise, à l’image de la Sainte Famille. Marie et Joseph ont eux aussi connu bien des épreuves, des secousses, des bousculades, des croix. Nous les voyons acculés à entreprendre ce long périple de Nazareth à Bethléem ; l’accouchement de Celui qu’ils savent être le Messie se fait dans une humble crèche ; le trône du Sauveur se réduit à une mangeoire. Puis il va falloir fuir en Egypte. Pauvre famille, bousculée par les circonstances mais qui poursuit sa marche pour accomplir sa mission. Qu’elle est belle cette Trinité d’Amour, et combien il nous faut l’applaudir !

La famille est aujourd’hui bien malmenée, critiquée, défigurée, désacralisée. On se complait à aligner les statistiques qui montrent son effondrement. On se dit que cette institution est d’un autre temps. En cette période de Noël, aimons à regarder ces nombreuses familles qui, souvent bousculées par notre société, peut-être même jusqu’à en trébucher, se relèvent et avancent courageusement. Elles sont là, toujours là, à l’image de l’Eglise. Vraiment, elles méritent nos applaudissements.

Père Gilles Morin
Curé