Surtout, qu’ils reviennent

 

Etonnant : le lépreux de l’Evangile de ce jour ne crie pas « impur, impur » comme lui imposait la loi. Il ne reste aucunement à distance mais quitte « sa demeure hors du camp » à l’encontre de ce que réglementait le livre du Lévitique.  Quelle audace ! Il vient trouver Jésus ; il tombe à ses genoux. Oui, il est là aux pieds de ce rabbi de Nazareth à le supplier : « Si tu le veux, tu peux me purifier ».

 

Stupéfiant : Jésus ne se récrie pas, ne le tance pas, ne s’éloigne pas. Lui, le pur par excellence, se trouve donc au contact de l’impur. « Tiens-toi à distance, pouvaient lui dire les pharisiens, ne te laisse pas contaminer. La lèpre qui défigure cet homme ne peut être que le miroir de son âme, la preuve de son péché. Toi, ne va pas te souiller ». Toute l’attitude de Jésus jusqu’en sa Passion nous dit sa réponse : « Je ne suis pas venu pour les bien-portants mais pour les malades ; je ne suis pas venu pour les justes mais pour les pécheurs. Moi, le Pur, je suis venu en ce monde pour apporter la purification et la sanctification. Oui, je suis venu pour que tous les hommes aient la vie et qu’ils l’aient en abondance ».

 

Il ne criait pas « impur, impur », cet enfant présent dans notre assemblée dominicale il y a deux semaines, en la journée mondiale des lépreux. Il n’était pas resté à distance. Avec sa maman, ils avaient quitté leur domicile au prix de maints efforts. Il était donc tout à la joie d’être au milieu de nous. Il n’était pas lépreux mais un regard un peu affiné suffisait à remarquer combien il était psychiquement perturbé, handicapé. Il bougeait de ses membres mal maîtrisés, et ses bras allaient parfois deci delà au point de heurter la personne de devant.

 

Stupéfiant : cette bonne paroissienne, exaspérée, tança du regard la maman et lui dit fermement : « Vous ne pouvez pas faire attention un peu à votre enfant ». La maman pleura. Son enfant frappé par la maladie ne nécessitait-il pas de sa part mille attentions au quotidien ? Elle avait héroïquement réussi à venir avec son fils vers Jésus, à s’immerger dans notre communauté chrétienne, et voilà qu’elle s’entendait-dire : « Tiens ton fils à distance ».

 

Je reconnais bien volontiers qu’il n’est guère agréable, en pleine messe, de se sentir tapoté dans le dos à coups répétés. Mais tous nous venons vers le même Sauveur ; tous, au début de chaque célébration eucharistique, nous implorons sa miséricorde en nous reconnaissant impurs. C’est l’expression de notre solidarité dans notre condition pécheresse. Ne venons-nous pas justement pour être touchés … touchés par la Parole et le Corps du Christ … frappés au plus intime de notre cœur par l’unique Sauveur ?

 

Je ne sais si nous reverrons cette pauvre maman et son fils. J’espère qu’elle aura l’occasion de lire ces quelques lignes. Au nom de notre communauté chrétienne, je lui demande sincèrement pardon. Qu’elle sache que nous l’aimons bien, elle et son fils, et que nous les accompagnons de nos prières. Qu’elle soit assurée que chez nous, ils seront toujours chez eux.

 

Je ne crois pas trop m’avancer en lui demandant pardon aussi au nom de cette paroissienne qui s’est irritée et l’a interpellée … et qui doit bien le regretter. De son cœur doit monter cette simple prière : « Si tu le veux, Seigneur, tu me purifier … me purifier de mes impatiences et de mes mouvements d’emportement. Si tu le veux – et je sais que tu le veux – tu peux me faire grandir dans la charité ».

 

Père Gilles Morin

Curé

« Et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là »

 

Victor Hugo s’insurgeait. Dans son recueil « Les Châtiments », il livrait un véritable pamphlet contre Napoléon III et son coup d’état du 2 décembre 1851. Il y demeurerait un opposant irréductible. Rappelons-nous la dernière strophe bien connue de son poème « Ultima verba » :

« Si l’on est plus de mille, eh bien, j’en suis !
Si même ils ne sont plus que cent, je brave encore Sylla ;
S’il en demeure dix, je serai le dixième ;
Et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là ! »

Aujourd’hui je m’insurge. Je n’ai certes ni la plume ni l’envergure de Victor Hugo, mais je revendique le droit de clamer la splendeur de l’amour. Aujourd’hui, oui ! je m’insurge contre une vision idéologique et sarcastique qui défigure et désacralise la beauté de l’union d’un homme et d’une femme dans le sacrement du mariage.

On aura beau idolâtrer l’amour-passion ravalé au rang de simples pulsions, cet amour qui s’embrase pour un jour ou quelques jours mais ne saurait durer toujours ; je chanterai, quant à moi, l’Amour qui est don, l’Amour qui s’affermit et s’amplifie au fil des ans, l’Amour fidèle qui trouve sa source dans le Dieu fidèle … et qui, donc, est celui de toute une vie. Et s’il n’en reste qu’un à chanter cet Amour-là, je serai celui-là !

On aura beau répéter sur tous les modes et tous les tons que les liens du mariage briment la liberté et font de la vie de l’homme une corvée sur la terre ; je chanterai, quant à moi, l’Amour responsable, l’Amour qui s’engage, l’Amour qui implique des sacrifices mais qui dilate tellement le cœur, l’Amour qui unit pour édifier une famille, l’Amour qui peut véritablement conduire au bonheur. Et s’il n’en reste qu’un à chanter cet Amour-là, je serai celui-là !

Mais je le sais, je ne suis pas seul. Toute l’Eglise chante avant moi ; je ne fais qu’unir ma voix au chœur innombrable de ses fidèles.

Je le sais, je ne suis pas seul. Tant d’hommes et de femmes incarnent cet Amour et en témoignent joyeusement au quotidien, à commencer par nos jubilaires de mariage que nous honorons en ce jour. Il y a quelques années, Georges Brassens, dans sa chanson  » la non demande en mariage  » fredonnait  guitare à la main : « J’ai l’honneur de ne pas te demander ta main. Ne gravons pas nos noms au bas d’un parchemin ». Nos jubilaires, par toute leur vie, nous chantent une autre chanson. Un jour, il y a 60 ans, … 25 ans …10 ans … l’homme ( à priori sans guitare à la main) a osé dire à sa bien-aimée : « J’ai l’honneur de te demander ta main. Gravons nos noms au bas d’un parchemin (sur un registre), pour attester la vérité et l’indissolubilité de notre amour. Gravons nos noms au plus intime de notre cœur puisqu’ils sont pour toujours gravés dans le cœur de Dieu. Que nos noms chantent ainsi la splendeur de l’Amour qui traverse les ans, de l’Amour de toute une vie, de l’Amour qui dure toujours.

Père Gilles Morin, Curé