Blancheur intérieure ou extérieure ?

 

Comme vous pouvez vous en douter, les jeunes du patro me taquinent volontiers ; je le leur rends bien. Il en est un qui se distingue particulièrement ; il aime me titiller, me plaisanter ; il ne manque pas d’humour ; moi non plus me semble-t-il. Il y a quelques jours, je l’ai vu arriver, revêtu d’un survêtement blanc. Avec un large sourire, je l’ai donc provoqué ; c’était plus fort que moi :
–    Ô Quel beau blanc ! C’est sans doute le reflet de ta sainteté, de la pureté de ton âme. Quelle conversion impressionnante !
Et lui de s’empresser d’ouvrir sa veste pour laisser apparaître, dessous, son tee-shirt noir.
–    J’aimerai bien, me répondit-il sur le ton de la plaisanterie, – et pointant son doigt sur son tee-shirt –, mais il y a encore du péché… le démon est encore là.
Un autre jeune, témoin de cette scène, s’immisça dans la taquinerie :
–    Mais vous, Père, vous êtes toujours tout en noir ! Votre âme alors, ça n’est pas brillant !
Aïe ! Dans quelle situation m’étais-je mis ? Bien qu’ayant le sourire aux lèvres, je ne savais trop par quelle pirouette m’en sortir.
Le jeune au survêtement blanc, fort heureusement, me tira d’affaire. Riant aux éclats, il lui répliqua :
–    Mais le Père, c’est parce qu’il porte sur lui nos péchés.
Ouf ! Je pouvais triompher. Mais ces taquineries plaisantes me renvoyaient bel et bien à la grandeur de ma mission. L’humour me rappelait jusqu’où je devais aller dans l’amour.

Ce dimanche correspond à la Journée mondiale des lépreux. Nous savons que par-delà le fléau de cette maladie, il y a une autre forme de lèpre qui défigure les âmes et brise la joie de vivre : c’est le péché. Notre société nous fait tellement miroiter ce qui brille, ce qui est rutilant, ce qui est clinquant … Il faut étaler, épater, en imposer. Nous sommes sans nul doute immergés dans une société des apparences qui, par sa superficialité, ne fait que masquer un grand vide intérieur, une carence d’âme.
Il y a une quinzaine d’années, lorsque j’étais en Afrique, j’ai eu l’occasion de côtoyer un lépreux. Ses extrémités étaient recouvertes de bandelettes blanches. Il était rayonnant, souriant ; c’était un chrétien fervent. Son cœur était ardent, brillant, brûlant. Le démon me paraissait avoir si peu d’emprise sur lui. Ce lépreux était à Dieu. Paradoxalement, il semblait que les bandelettes blanches qui couvraient les horreurs de ses membres nous prêchaient la splendeur de son cœur. Oui, par-delà les apparences, au-delà de la défiguration de son corps, on pouvait contempler la transfiguration de son âme.

Nous ne sommes pas indemnes d’une inclination à plaire et à paraître. Nous prenons soin de notre corps, parfois même excessivement. En est-il de même pour ce qui concerne le salut de notre âme ? Nous nous efforçons d’éradiquer les rides, les verrues et les excroissances qui portent atteinte à la beauté de notre corps. Qu’en est-il de notre relation avec celui qui atrophie et défigure notre âme ? Crions-nous vers Jésus-Sauveur : « Seigneur, je t’en supplie : ordonne au mauvais esprit qui m’habite et me tenaille : « Sors de cet homme ! » » ? Nous serions pourtant tellement plus radieux et séduisants si nos démons intérieurs étaient déboutés. Ne faut-il pas le désirer ?

Père Gilles Morin
Curé