La fête et le drame

 

La fête était belle pour nous dimanche dernier. Dans un esprit de famille, nous avions accueilli les nouveaux arrivants sur la paroisse. Nous savourions les mets apportés par chacun. Nos cœurs étaient dilatés et notre communauté paroissiale exultait. Pourtant, à quelques rues de là, un cœur souffrait, un drame se jouait. Une femme d’environ quarante ans se défenestrait, s’écrasait sur le sol et mourait. Elle se prénommait Clotilde.

 

Je la connaissais un peu ; elle passait par période à la paroisse. Au premier contact, on se rendait compte qu’elle était psychiquement malade, souvent perturbée voire excitée. Elle s’arrêtait un instant à mon bureau, m’adressait quelques mots, puis s’en allait prier. Voilà près d’un an que je ne la voyais plus. Elle s’en est allé chercher le repos en Jésus, son compagnon de souffrance. Lui seul peut  l’ouvrir à la Vie éternelle, là où elle ne connaitra plus « ni pleurs, ni cris, ni larmes, ni douleur, mais la joie et la paix ».

 

L’Evangile de ce dimanche ne fait pas dans la demi-mesure ; il peut même nous paraître excessif :

« Si ta main t’entraîne au péché, nous dit-il, coupe-la. Il vaut mieux entrer manchot dans la vie éternelle que d’être jeté avec tes deux mains dans la géhenne …

Si ton pied t’entraîne au péché, coupe-le. Il vaut mieux entrer estropié dans la vie éternelle que d’être jeté avec tes deux pieds dans la géhenne …

Si ton œil t’entraîne au péché, arrache-le … « 

Sans nul doute, ce discours est exigeant mais reconnaissons qu’il est plein de bon sens. Il convient de le transposer à nos situations concrètes sans tergiverser ni l’édulcorer.

« Si telle relation amicale te mène à l’infidélité conjugale, coupe-la …

Si telle revue ou telle série télévisée émousse ton sens moral, supprime-la … etc … »

Franchir ce pas est le plus souvent éprouvant mais c’est une exigence vitale pour préserver notre âme. Il faut savoir se détacher pour s’élever.

 

Remarquons-le : Jésus parle de la main, du pied, de l’œil, … il ne mentionne ni la tête ni le cœur. On ne peut se couper la tête ni s’arracher le cœur sans, par le fait même, se donner la mort. Clotilde était malade dans sa tête, profondément troublée au fond de son cœur. Que faire ? Les personnes affectées de psychose ou frappées de grave dépression ont parfois l’impression qu’une telle question restera pour eux à jamais sans réponse ici-bas. Cette perspective insupportable les conduit alors à se jeter dans l’au-delà.

 

Pauvre Clotilde. Nous étions en fête ; tu vivais un drame. Le catéchisme de l’Eglise Catholique nous assure qu’on ne doit pas désespérer du salut de ton âme (cf n° 2283). Il nous fait le devoir de prier pour toi. Nous le faisons bien volontiers. N’étais-tu pas notre voisine ? notre sœur ? …fille de l’Eglise par le baptême ? rachetée par le sang du Christ, … comme nous ? Puisses-tu, après tant de drames ici-bas, connaître la grande fête de l’au-delà.

 

Père Gilles Morin,

Curé