Voir ce qui ne se voit pas

 

« Nous cheminons dans la foi, non dans la claire vision » nous rappelle  en ce dimanche l’apôtre Paul. Il a tellement raison ; nous en faisons si souvent l’expérience. Le bon pédagogue qu’est Jésus ne manque pas de l’illustrer à sa manière, prenant l’image de la semence jetée en terre. Ainsi, nous dit-il, pour un homme qui a ensemencé son champ : « Nuit et jour, qu’il dorme ou qu’il se lève, la semence germe et grandit, il ne sait comment ». Il ne la voit pas avant qu’elle sorte de terre et laisse apparaître son fruit. Il en est ainsi, même pour la graine de moutarde, « la plus petite de toutes les semences », qui va finalement dépasser toutes les plantes potagères et étendre ses longues branches. Il y a donc la phase où l’on ne voit pas, puis celle où l’on voit.

 

Un curé que j’apprécie beaucoup (dont je tairai le nom) m’a raconté tout récemment ce souvenir du dernier baptême qu’il avait célébré dans sa paroisse précédente (dont je tairai également le nom). Depuis le début de la célébration, il était perturbé par un homme qui ne cessait de prendre des photos sans retenue aucune, se déplaçant, s’approchant et « mitraillant » à n’en plus finir. Arriva enfin le moment du baptême proprement dit. Le photographe se fit plus proche que jamais. Gardant patience, le prêtre versa dignement et lentement l’eau sur le front de l’enfant. Quel instant de grâce ! Mais alors que tous s’apprêtaient à chanter, l’homme se colla quasiment à l’oreille du prêtre pour lui murmurer : « Est-ce que vous pouvez recommencer … pour la photo ? » Evidemment, il n’avait rien compris. Il aurait pu multiplier les photos, si belles soient-elles, jamais il ne pourrait fixer sur image ni de manière visible ce qui, justement, ne se voit pas : l’irruption de la vie trinitaire, de la vie même de Dieu, dans l’âme de cet enfant. Brittany qui est baptisée, ce dimanche, en notre église, ainsi que Diego qui fait sa première communion, ne seront pas importunés, je vous l’assure, par de tels chasseurs d’images. Vous connaissez en effet mon allergie aux photographes trop envahissants.

 

Peut-être aurez-vous eu l’occasion d’apercevoir Brittany et Diego à leur entrée dans l’église. Peut-être aurez-vous l’opportunité de les croiser à la sortie. Qu’y aura-t-il donc de changé ? Aux yeux des hommes, rien … ou tout au plus un sourire et des yeux pétillants de bonheur. Mais dans leur cœur, quel changement ! quelle transformation ! quelle irruption de vie … de vie divine ! Nous le savons, et dans la foi ‒ non dans la claire vision ‒ nous saurons voir ce qui ne se voit pas.

 

« Nuit et jour, que nous dormions ou que nous nous levions », la grâce en nos âmes fait son chemin. Si nous ne nous interposons pas, si nous ne la négligeons pas, elle porte son fruit et fait, en nous et par nous, des merveilles. « Oui, c’est là l’œuvre du Seigneur, la merveille devant nos yeux » … nos yeux qui, par la foi, voient tellement plus loin que ce qui peut se voir. Surtout, ne l’oublions pas.

 

Père Gilles Morin,

Curé