La perche à selfie

 

Je fais des découvertes de jour en jour … même à Rome. Lors de mon récent séjour dans la ville éternelle, tel fut bien le cas. Je connaissais, certes, cette ville qui est le cœur de la chrétienté ; j’y étais déjà venu bien des fois. Les belles basiliques, les catacombes, le Colisée etc … m’étaient presque familiers, mais j’ignorais tout de la perche à selfie, quasi omniprésente en ces lieux saints. Bien des fois, le groupe que nous formions a été abordé par des petits vendeurs proposant au prix d’environ 10 € un ustensile que l’on voyait entre les mains de nombreux touristes et pèlerins. Il s’agit d’un accessoire de photographie composé d’un monopode (petite perche) doté d’un support pour un appareil photo ou un smartphone qui vous permet de vous prendre vous-même en photo. Il suffit de tenir cette perche, de la tendre avec le bras devant vous et, clic, voilà votre photo prise. Vous pouvez ensuite vous admirer. Plus besoin de personne ; vous vous débrouillez vous-même pour immortaliser votre chef-d’œuvre qui se perdra dans le lot d’innombrables photos que vous regarderez à la va-vite et qui sombreront finalement dans l’oubli.

 

Voyez le prophète Élie, dans la première lecture de ce dimanche. Il n’hésite aucunement à faire appel à la veuve de Sarepta : « Veux-tu … ? Apporte-moi ». Est-ce donc si compliqué de demander service à quelqu’un ? Pourquoi vouloir sans cesse se passer des autres et chercher à se suffire à soi-même ? Pourquoi tout organiser comme si chacun n’était qu’un être solitaire devant survivre dans l’indifférence de son entourage ? « Demandez, nous dit Jésus, et vous recevrez ». Ne plus rien demander aux autres, c’est s’exposer à ne plus savoir supplier Dieu. La spirale de l’individualisme est mortifère ; elle ne saurait apporter la joie. Osons demander, sachons supplier.

 

Que dire de ces riches dont nous parle l’Evangile ? Ils mettaient ostensiblement de grosses sommes dans la salle du trésor. Il est facile de les imaginer quelques siècles plus tard, perche à selfie à la main, dans un nombrilisme malsain, cherchant coûte que coûte à s’admirer dans leur pseudo-prodigalité. Eux font tout pour être vus ; la pauvre veuve fait tout pour rester cachée. Eux veulent laisser la trace de leur  » C’est moi  » ; elle, dans le fond de son cœur, veut simplement dire au Seigneur :  » C’est pour toi « . N’est-ce pas ce que, nous aussi, nous voulons lui dire dans l’humilité et la simplicité ?

 

Père Gilles Morin,

curé