Ni s’y coucher, ni s’y vautrer, ni penser à s’envoler

Peut-être vous souvenez-vous, comme moi, de beaux rêves de jeunesse. Dans mon sommeil, je me voyais décoller du sol, m’élever vers le ciel et voler à une altitude et une vitesse vertigineuses. C’était vraiment grisant ; le réveil, lui, était plombant ; il me fallait atterrir et être renvoyé à la dure réalité de mon quotidien.

Dans quelques jours, nous fêterons Saint François de Sales, patron secondaire de notre Congrégation. Je l’aime beaucoup car, justement, il a le sens du réel et sa spiritualité est des plus incarnées. Avec sagesse, il écrivait en son temps : « Nous ne pouvons aller sans toucher terre ; il ne faut pas s’y coucher, ni vautrer, mais aussi il ne faut pas penser voler ». Ne nous arrive-t-il pas parfois de l’oublier ?

Ce dimanche correspond à la 103ème Journée mondiale de prière pour les migrants et les réfugiés. Comme le souligne notre pape François, « les migrations, aujourd’hui, ne sont pas un phénomène limité à certaines régions de la planète, mais touchent tous les continents et prennent toujours plus les dimensions d’une question mondiale dramatique ». Autant dire que cette question est extrêmement complexe. Nous ne pouvons l’ignorer, cherchant à avancer sans toucher cette réalité de notre terre. À notre petit niveau, nous ne pouvons pas davantage régler cette ample question si complexe et porteuse de tant de drames. Impossible néanmoins, pour un chrétien, de se vautrer les yeux fermés et le cœur recroquevillé dans un petit égoïsme quotidien. Que faire alors ? Suivre l’Agneau de Dieu ; dire ce qu’il dirait ; faire ce qu’il ferait. Du moins, essayer, sans nous coucher ni nous vautrer, mais aussi sans penser s’envoler. Nous sommes de pauvres pécheurs, et c’est bien pour cela que Jésus est venu.

Nous fêtons aujourd’hui les jubilaires de mariage de notre paroisse. Ils sont au nombre de 19 couples, allant de 15 à 70 ans de mariage. J’aime ces mots extraits d’un beau texte de Charles Ferdinand Razmuz, auteur poète suisse de la première moitié du 20ème siècle : « Viens te mettre à côté de moi sur le banc … il va y avoir quarante ans qu’on est ensemble. ….Femme, tu te souviens ? …/… l’amour n’est pas ce qu’on croit quand on commence. Ce n’est pas seulement ces baisers qu’on échange, ces petits mots qu’on se glisse à l’oreille …. Tu te souviens, femme ou quoi ? Tous ces soucis, tous ces tracas ; seulement tu as été là. On est resté fidèles l’un à l’autre. Et ainsi j’ai pu m’appuyer sur toi et, toi, tu t’appuyais sur moi. On a eu de la chance d’être ensemble, on s’est mis tous les deux à la tâche, on a duré, on a tenu le coup. Le vrai amour n’est pas ce qu’on croit. Le vrai amour n’est pas d’un jour, mais de toujours ». Tout à la joie de la fête, nos jubilaires de mariage nous affirment effectivement qu’on n’avance pas, des années durant, dans un amour idyllique et désincarné, sans toucher terre. Dans l’humble quotidien, il s’agit d’avancer de son mieux avec fidélité,  sans s’engluer ni se vautrer dans la fadeur d’un égoïsme étriqué qui est aux antipodes d’une vie donnée. Là encore, il faut suivre Jésus, l’Agneau de Dieu, l’Amour incarné qui se donne sans compter.

Je le répète ; j’aime beaucoup Saint François de Sales. N’oubliez pas ses mots pleins de sagesse qu’il vous livre aujourd’hui : « Nous ne pouvons aller sans toucher terre ; il ne faut pas s’y coucher, ni vautrer, mais aussi il ne faut pas penser voler ». C’est bien ainsi qu’il nous faut suivre l’Agneau de Dieu, … jusqu’au jour où nous espérons, effectivement, nous envoler vers le Ciel, dans la gloire et pour l’éternité … mais d’ici là ?

Père Gilles Morin, curé