Te regarder, t’écouter, t’aider et t’aimer

Il est des événements qui nous marquent ; certains sont solennels et d’envergure, d’autres apparemment plus anodins nous laissent pourtant des traces indélébiles. Il est des souvenirs que l’on ne peut chasser de notre esprit, qui refont périodiquement surface  et restent gravés dans notre mémoire. Ainsi en est-il de cette rencontre qui remontent à quelques années, tandis  que j’étais en mission au Burkina Faso.

 

C’était devant la poste de Bobo-Dioulasso. Un pauvre vint vers moi et, tendant la main, quémanda  une pièce. Les poches de ma soutane blanche étaient vides. Je me rendais à une cérémonie et étais pressé par le temps. Je lui répondis à la hâte que je n’avais rien à lui donner. Il insistait ; je persistais. S’approcha alors un homme relativement jeune qui, tout en lui remettant une pièce, lui dit d’un ton sec : « Laisse tomber ; tu n’obtiendras rien de lui ; les prêtres sont tous des égoïstes nantis qui ne pensent qu’à l’argent ». Puis tous deux s’éloignèrent. J’étais comme assommé. J’aurais voulu réagir ; je restais coi. Que répondre en effet ? Aux yeux de ces hommes, les faits venaient de parler. Quelle image du prêtre venais-je de donner ? Certes, je n’avais pas menti, mes poches étaient bel et bien vides. Mais, …. oui, mais j’avais cherché à me débarrasser à la hâte de ce pauvre. Je ne l’avais pas même regardé. J’étais incapable de mettre un visage sur le son de cette voix qui m’avait supplié. J’avais  détourné mon visage d’un pauvre. Jamais mon modèle, Saint Vincent de Paul, ne se serait comporté ainsi. Se pressaient alors à mon esprit ces paroles de l’Evangile : « J’avais faim et vous ne m’avez pas donné à manger ; j’avais soif … j’étais nu …Ce que vous n’avez pas fait au plus petit de mes frères, à moi non plus vous ne l’avez pas fait ».

 

Cher pauvre dont j’ignore le nom, je ne sais si aujourd’hui encore tu te souviens de moi. Pour ma part, je ne t’ai pas oublié et, par-delà les années qui s’écoulent et les distances qui nous séparent, je continue de prier pour toi. Pardonne-moi ! … pardonne-moi de ne pas t’avoir accueilli, de ne pas t’avoir consacré de mon temps, de ne pas avoir posé sur toi un regard qui donne envie de vivre, d’exister, et qui te dit que tu es aimé. Nous nous reverrons … un jour … ce jour où tu pourras légitimement dire au Seigneur : « J’avais faim, j’étais en difficulté, j’étais en marge de la société … et il ne m’a même pas regardé ».  Puisses-tu alors ajouter : « Mais, Seigneur, pardonne-lui ». Puisse aussi, ce jour-là, se lever d’autres pauvres affirmant bien nettement : « Pitié pour lui, Seigneur ; nous le reconnaissons ; il nous a aimé ; il nous a aidé ; il a posé sur nous son regard de tendresse et de bonté ».

 

En cette fête de rentrée, allons les uns vers les autres. Accueillons-nous ; regardons-nous, aimons-nous ; et s’il y a lieu de le faire, pardonnons-nous. Cherchons à mettre un peu plus de noms sur un peu plus de visages. Que ce jour s’inscrive dans notre histoire pour que, quand viendra Le Grand Jour, nous ayons l’immense joie de nous retrouver dans la gloire et de pouvoir affirmer en toute vérité : « Je te reconnais ; tu m’as regardé, tu m’as accueilli, tu m’as aidé, tu m’as aimé »

Père Gilles Morin

Curé

Prendre un enfant par la main

« Si je pouvais recommencer ma vie, disait Bossuet à sa dernière heure, je voudrais n’être qu’un tout petit enfant donnant sans cesse la main à l’Enfant Jésus ». Ce prélat avait côtoyé les grands de ce monde et connu les honneurs. Il avait prêché brillamment et abondamment sur les mystères de la foi. Au soir de sa vie, il livrait pourtant avec humilité la grande leçon de l’évangile

 

J’aime beaucoup cette chanson d’Yves Duteil que la plupart d’entre vous connaissent bien : « Prendre un enfant par la main ». Il est si beau, en effet, de prendre un enfant « par la main« , de le prendre « dans ses bras« , « contre son cœur« , « comme il vient« , « par l’amour« .

 

Si Jésus était là, en notre monde aujourd’hui, je voudrais être cet enfant qu’il prend, qu’il embrasse, et qu’il place au milieu de ses disciples en disant : « Celui qui accueille en mon nom un enfant comme celui-ci, c’est moi qu’il accueille … ». Notre vie ne serait-elle pas plus simple et plus belle si, bien simplement et humblement, nous nous laissions prendre par la main de Jésus, dans ses bras, blotti contre son cœur, par l’amour. N’est-ce pas l’attitude fondamentale qui nous ouvre le chemin du ciel ? Pourquoi résister ? Pourquoi cette propension à vouloir être grand, fort et suffisant ? Notre histoire personnelle nous montre tellement à quel point nous buttons et sombrons chaque fois que nous dédaignons cette main que le Sauveur nous tend.

 

Notre monde a ses lumières ; il a aussi ses obscurités. Sous bien des angles et dans de multiples domaines, il est en crise. Le pape Benoît XVI l’a rappelé dans sa merveilleuse encyclique « Caritas in veritate » (La Charité dans la vérité). Sa parution fin juin nous a peut-être échappée, les vacances nous l’ont peut-être fait oublier. C’est un texte de sagesse à lire et à approfondir.

 

Notre monde cherche trop souvent à tout maîtriser et à tout contrôler, à coup de technologie et de technocratie. Il s’enlise de plus en plus dans une spirale de rentabilité qui laisse les petits et les faibles au bord du chemin. Ce que saint Jacques dénonçait dans la première lecture de ce dimanche reste d’actualité. Les jalousies, les rivalités, les conflits, les convoitises s’étalent sous nos yeux.

 

Par-delà les efforts nécessaires et légitimes déployés en vue du progrès de l’humanité, notre monde ne doit pas oublier qu’il a besoin d’un Sauveur. Le Christ est « le chemin, la vérité et la vie ». Pour s’accomplir pleinement, l’homme doit, non pas se gagner mais se perdre, non pas être fort mais être faible, non pas revendiquer son autonomie mais s’attacher à son Seigneur, non pas être “adulte“ mais au contraire, tel un enfant, se laisser prendre docilement par la main de son Maître, Lui qui est tout amour.

 

Prenons nos enfants par la main, dans nos bras, contre notre cœur, par l’amour, et tout ira tellement mieux. Soyons nous-mêmes cet enfant que Jésus place au milieu de notre monde pour lui montrer le chemin du Salut.

 

Père Gilles Morin

Curé