Présentation de l’Encyclique « Caritas in veritate » par le Cardinal André Vingt-Trois

Présentation par le cardinal André Vingt-Trois de l’encyclique du pape Benoît XVI, « Caritas in veritate »


Avant d’entrer dans la présentation de grands repères de lecture de l’encyclique Caritas in Veritate, que j’ai le redoutable privilège de vous présenter maintenant, je voudrais vous partager une impression personnelle que j’ai retirée de cette première lecture. La troisième encyclique de Benoît XVI m’apparaît d’abord comme un formidable message d’espérance que le Pape veut adresser aux catholiques et, plus largement, à « tous les hommes de bonne volonté », selon la formule consacrée, c’est-à-dire à tous ceux qui sont intéressés par des réflexions inspirées par la foi chrétienne et qui sont disposés à les accueillir sans a priori négatif.
Ce message d’espérance est le suivant : l’humanité a la mission et les moyens de maîtriser le monde dans lequel nous vivons. Non seulement elle n’est pas soumise à une fatalité, mais encore elle peut transformer ce monde en agissant sur les événements et faire progresser la justice et l’amour dans les relations humaines, y compris dans le domaine social et économique, et même dans une période de crise comme celle que nous connaissons.
Cette espérance se fonde sur une conviction : dans l’univers, l’être humain a une dimension particulière qui lui permet de n’être pas soumis à la domination mécanique des phénomènes, qu’ils soient naturels ou économiques et sociaux. Il assume cette dimension particulière dans la mesure où il reconnaît qu’il se reçoit dans une relation à un plus grand que lui, un Absolu, plus grand que chacune de nos existences. Tout homme, qu’il soit croyant ou non, doit bien prendre position sur la question d’un jugement moral qui dépasse ses intérêts particuliers et dont sa conscience est le témoin. Bien sur, pour les croyants, cette référence à une transcendance a un nom, c’est Dieu.

Si je voulais maintenant entrer dans la lecture de ce livre de plus de cent pages, la matinée n’y suffirait pas. Il ne faut pas évidemment y chercher un catalogue de solutions mais sur beaucoup de sujets de la vie sociale, l’encyclique est une stimulation pour exercer le jugement moral et pour mettre en œuvre les critères de ce jugement. C’est pour répondre à cette stimulation d’ailleurs que j’ai invité des responsables du monde politique, économique et social à se rassembler le mercredi 15 juillet prochain au Collège des Bernardins pour une présentation commentée de cette encyclique. Je me contenterai maintenant de vous donner quelques points de référence qui peuvent ressortir d’une première lecture.
• Tout d’abord, l’introduction, comme souvent chez le Pape Benoît XVI, n’est pas une simple formalité. Elle est un peu comme un discours de la méthode. Elle consiste en une sorte de commentaire du titre de l’encyclique : L’amour dans la vérité. Elle reprend un thème qui lui est cher sur les relations entre la raison et la foi. Il y développe une réflexion sur l’interaction entre l’amour et la vérité pour souligner combien chacune est dépendante de l’autre dans l’accomplissement de son registre propre. L’amour sans la vérité tourne au sentimentalisme ou au paternalisme inopérant. La vérité sans l’amour peut être efficace, mais risque toujours de s’enfermer dans une technique qui oublie la dimension propre de la personne humaine. Ainsi Benoît XVI nous dit : « Seule, la charité, éclairée par la lumière de la raison et de la foi permettra d’atteindre des objectifs de développement porteurs d’une valeur plus humaine et plus humanisante. »
• Il nous donne ainsi un des thèmes centraux de tout l’ouvrage qui est le développement. Sa démarche sur le développement s’inscrit d’abord dans la tradition de la doctrine sociale de l’Église, au moins pour la période moderne qui remonte à la fin du XIX° siècle avec l’encyclique de Léon XIII Rerum Novarum de 1891. Dans cette relecture historique, il accorde une attention très particulière au Concile Vatican II, notamment la Constitution Gaudium et Spes, et à l’encyclique de Paul VI Populorum Progressio de 1967, consacrée au « développement intégral » de l’homme. « Intégral », cela veut dire qui concerne la totalité de la personne dans chacune de ses dimensions. Ensuite, Benoît XVI fait une lecture de la situation présente à la lumière de ce programme vieux de plus de quarante ans. Il relève les progrès qui ont pu être accomplis, mais il souligne aussi l’aggravation de certaines situations, notamment dans l’écart croissant entre une richesse de plus en plus grande pour certain, certains individus et certains pays, et une pauvreté de plus en plus profonde entre les pays et à l’intérieur de chaque pays.

Je voudrais souligner encore deux points très importants de l’encyclique :
1. Il n’y a aucun domaine d’activité humaine qui échappe à la responsabilité morale. Ni le domaine économique, ni le domaine financier, ni le domaine technologique, ni le domaine de la recherche scientifique. La moralité et donc la valeur spécifiquement humaine des actions entreprises ne peut pas être seulement une question que l’on pose a postériori quand tout est fini et décidé, pour aménager des corrections aux marges. Elle est inhérente à la totalité de la démarche, elle doit en être un élément constituant permanent. Elle repose sur une évaluation des finalités visées et des moyens mis en œuvre pour atteindre les objectifs. C’est la question du sens de l’action humaine personnelle et collective. La justice et le bien commun sont les deux critères pour évaluer ce qui est conforme à un développement vraiment humain.
2. Le deuxième point concerne la réflexion sur la mondialisation et son rapport au développement. L’extension de la mondialisation pose des conditions nouvelles pour le développement en raison des interconnexions accrues et de l’internationalisation des échanges économiques et financiers. Cette situation conduit à examiner un certain nombre de questions, ce que fait l’encyclique, que je ne fais qu’énumérer :
• Le risque de laisser se développer une internationalisation exclusivement économique et financière et de négliger les dimensions sociales et culturelles de ce phénomène.
• La mondialisation a représenté et représente une chance pour un certain nombre de pays émergents. Elle a été et elle est aussi une catastrophe pour d’autres pays, faute d’une régulation internationale.
• La mondialisation suscite un nouvel équilibre entre les acteurs économiques, les états et la société civile. Notamment les champs d’action des états et leurs responsabilités ne sont plus les mêmes dans la mesure où beaucoup de centres de décisions ont pris une position internationale qui échappe à l’autorité particulière de chaque état, d’où la nécessité de reprendre à frais nouveaux la question d’une régulation internationale, y compris pour les organismes internationaux déjà existants.
• Elle pose la question de la répartition des ressources et des moyens de production. Il faut analyser les objectifs réels et les conditions des « délocalisations ». S’agit-il simplement de trouver ailleurs de lieux de production moins couteux au détriment des populations parmi lesquelles on les installe – et en particulier au détriment de leurs droits sociaux – ou s’agit-il de répartir de manière plus équitable l’utilisation d’une technologie et la capacité d’entreprendre ?

Cette encyclique, imposante par sa taille et la multiplicité des sujets qu’elle aborde, est cependant unifiée par une perspective générale sur la responsabilité dans l’action économique et sociale. C’est le service de l’homme qui est le critère ultime et définitif du projet social. Ce n’est pas l’homme qui est au service d’un projet social. Mais quel service de l’homme, quelle promotion de l’homme sont recherchés ? Autrement dit, quels sont les modèles d’humanité qui servent de référence pour établir une évaluation de l’action économique ? Comment est respectée l’unité de la personne humaine dans tous les domaines de sa vie ? Comment éviter de fractionner la perception de l’homme en fonction des critères de production ou en fonction des critères de consommation ? Comment reconnaître et servir l’unité de la personne humaine ? Un homme n’est jamais seulement un consommateur, jamais seulement un producteur, jamais seulement un esthète, jamais seulement un mystique. Il est tout à la fois un être de relation et de production, de consommation et d’échange gratuit, un être socialisé et acculturé. Cette encyclique est donc un commentaire d’une loi fondamentale de la doctrine sociale de l’Église : « pour tout l’homme et pour tous les hommes ».

+ cardinal André VINGT-TROIS

Homélie de Benoît XVI à Nazareth (extraits)

Je me réjouis d’être venu à Nazareth, le lieu béni par le mystère de l’Annonciation, le lieu témoin des années cachées de la croissance du Christ en sagesse, en âge et en grâce (cf. Lc 2, 52) …/…
J’ai confiance que cette étape de mon pèlerinage attirera l’attention de toute l’Eglise sur cette ville de Nazareth. Comme le pape Paul VI l’a dit ici, nous avons tous besoin de revenir à Nazareth, pour contempler toujours de nouveau le silence et l’amour de la Sainte Famille, modèle de la vie de toute famille chrétienne. Ici, à l’exemple de Marie, de Joseph et de Jésus, nous venons pour apprécier encore plus totalement le caractère sacré de la famille, qui est basé, dans le plan de Dieu, sur la fidélité de toute la vie d’un homme et d’une femme consacrés par l’alliance du mariage, et qui accueillent une vie nouvelle, don de Dieu. Combien les hommes et les femmes de notre temps ont besoin de se réapproprier cette vérité fondamentale qui est à la base de la société, et combien le témoignage de couples mariés est important pour la formation de consciences droites et la construction d’une civilisation de l’amour !…/…
Dans le plan de Dieu pour la famille, l’amour de l’époux et de l’épouse porte du fruit dans une vie nouvelle, et trouve son expression quotidienne dans les efforts pleins d’amour des parents pour assurer à leurs enfants une formation intégrale, humaine et spirituelle. Dans la famille, chaque personne, que ce soit l’enfant le plus petit ou le parent le plus âgé, a une valeur en lui-même ou en elle-même, et n’est pas simplement un moyen pour quelque autre fin. Ici, nous commençons à entrevoir quelque chose du rôle essentiel de la famille comme première pierre d’une société bien ordonnée et accueillante. Nous ne manquons pas d’apprécier également, dans une communauté plus vaste, le devoir de l’Etat de soutenir les familles dans leur mission d’éducation, de protéger l’institution de la famille et ses droits intrinsèques, et d’assurer à toutes les familles la possibilité de vivre et de s’épanouir dans des conditions de vie dignes…/…
En tant qu’ « élus de Dieu, ses saints et ses bien-aimés », nous sommes appelés à vivre en harmonie et en paix les uns avec les autres, montrant avant tout la capacité de nous supporter les uns les autres et de nous pardonner, avec l’amour dans lequel se noue la perfection (cf. Col 3,12-14). De même que dans l’alliance du mariage l’amour d’un homme et d’une femme est élevé par la grâce à la participation à l’amour du Christ et de l’Eglise dont il est une expression (cf. Ep 5,32), de même la famille, enracinée dans cet amour, est appelée à être une « Eglise domestique », un lieu de foi, de prière et de souci aimant du vrai bien durable de chacun de ses membres.