Ostentation ou dissimulation ?

 

La croix de Jésus est « scandale pour les juifs et folie pour les païens« , selon l’expression bien connue de l’apôtre Paul. Ne devrait-on pas la cacher et se contenter de pleurer ? Comment se peut-il que les chrétiens se plaisent à la montrer et la vénérer ? Au lendemain de la consécration de la basilique de l’Anastasis (du Saint sépulcre), le 14 septembre 335, l’évêque de Jérusalem montra pour la première fois à la foule le bois sacré de la croix du Sauveur, retrouvé par Sainte Hélène, mère de l’empereur Constantin. Cette date du 14 septembre fut choisie par la suite pour célébrer une fête qu’on appela « Exaltation de la précieuse et vivifiante Croix » parce que son rite principal consistait en une ostension solennelle d’une relique de la vraie croix. Ce geste manifestait devant tous que la Croix est glorieuse parce qu’en elle la mort est vaincue par la vie.

 

Je repense à cette maman qui avait demandé le baptême pour le bébé qu’elle venait de mettre au monde. Alors qu’on l’informait du geste qui allait être posé sur le front de son enfant, elle se récria : « Ah ! non, vous ne ferez pas ce signe de croix sur mon enfant ! c’est le signe de la mort ». Non madame, c’est le signe de l’Amour infini de Dieu pour chacun d’entre nous, celui du triomphe de la Vie sur la mort.

 

Dans le cœur des chrétiens, la Croix est comme plantée, honorée, vénérée. Signe de l’amour fou de Dieu pour chacun d’entre nous, trophée de victoire, elle est faite pour être montrée. L’Eglise prône son ostentation ; notre monde commande trop souvent sa dissimulation. Alors que la Croix de Jésus suscite notre vénération ; elle provoque chez nombre de nos contemporains la réprobation, voire même la profanation.  « Cachez cette Croix » : tel semble être le message distillé et parfois martelé dans notre société marquée par une laïcité militante visant l’exclusion de Dieu. « Non, ne la cache pas, nous dit Jésus ; ne me cache pas ; sur ce bois je suis mort pour toi ; j’ai fait triomphé la Vie pour toi ».

 

Il y a quelques mois, au terme d’une rencontre avec un petit africain du patronage, celui-ci m’avoua qu’il n’avait pas de croix à la maison. Bien volontiers, je lui en remis une dorée d’une hauteur d’environ 12 cm, tout en lui faisant cette recommandation : « Tu la poses sur ta table de nuit ou tu l’accroches au mur de ta chambre. Elle t’aidera ainsi à prier ». Le lendemain, que vois-je ? Mon petit, débarquant sur la cour avec un large sourire et, suspendue à son cou, bien ostensible, sa croix dorée de 12 cm frappée par les rayons du soleil … croix étincelante sur un visage rayonnant. Que c’était beau !

 

Notre fondateur, le Père Jean-Léon le Prévost, aimait à dire : « Ce serait mauvais signe si nous n’apercevions pas devant nous La croix de notre Seigneur ». Vivre sans contempler cette Croix et sans tracer ce signe magnifique sur notre corps pour le graver plus profondément en notre cœur, quel vide et quelle obscurité ! Au contraire, contempler la Croix, l’avoir sous nos yeux, à notre cou, en notre cœur … admirer cette croix, − « Croix inénarrable, Croix inestimable, Croix qui fulgure à travers le monde » − quelle source de lumière et de vie ! quelle grâce ! « Nous t’adorons ô Christ et nous te bénissons, parce que tu as racheté le monde par ta sainte Croix ».

 

Père Gilles Morin,

Curé

Le tocsin ou la volée

 

Il y a un siècle, dans un contexte de tensions dans les relations franco-allemandes,  des voix s’élevaient en notre pays face à un courant pacifique béat et irresponsable. Le 3 août 1914, une annonce terrifiante secouait notre nation : celle de l’entrée dans cette page d’histoire appelée à juste titre « La Grande guerre », tant furent nombreux les soldats morts sur les champs de bataille. Mon grand-père, parmi tant d’autres, fut mobilisé. Je ne l’ai connu que dans ma petite enfance ; il mourut en effet trop tôt des suites d’un gazage subit au cours de ce conflit meurtrier. Au cours de notre été 2014, le vendredi 1er août à 16h00, les cloches de nos églises ont donc sonné lentement et gravement le tocsin en souvenir de cet anniversaire.

 

Il y a 70 ans le 24 août 1944, les soldats de la 2ème DB sous le commandement du Général Leclerc entraient dans Paris. Mon père qui n’avait pourtant que 16 ans en faisait partie. Que de fois il m’a raconté cet événement … et quel événement ! celui de la libération de Paris ! Le 25 août de cet été 2014, si vous étiez dans la capitale, vous avez pu entendre les cloches de nos églises parisiennes qui sonnaient à la volée pour commémorer cet anniversaire.

 

Ce sont là des pages de notre histoire que nous ne pouvons … que nous ne devons aucunement oublier. Nous avons l’exigence d’en garder mémoire. Tant de nos devanciers se sont levés, ont combattu, et sont morts pour faire que notre pays reste une terre de liberté.

 

Cet été a été marqué aussi par le drame de populations entières, entre autre en Irak et sans oublier la Syrie, qui ont dû fuir, tout quitter, s’exiler, se réfugier … Parmi elles tant de nos frères et sœurs chrétiens. Les cloches de leurs églises n’ont pu sonner le tocsin. Nous rêvons qu’elles puissent un jour sonner à pleine volée la joie du retour au pays et des biens retrouvés. Des voix se sont élevées, des bonnes volontés se sont mobilisés, les médias ont protesté. Face à de tels drames, la passivité ne saurait être de mise, le silence devient coupable.

 

Ce que le Seigneur déclare au prophète Ézékiel est une parole adressée à chacun d’entre nous : « Fils d’homme, je fais de toi un guetteur » … « Avertis, dénonce … « Si ton frère a commis un péché, va lui parler et montre lui sa faute » car à toi, je demanderai compte du sang de celui qui s’abandonne à sa conduite mauvaise … à plus forte raison des souffrances et esclavages subits par tant d’innocents ».

 

C’est la rentrée ! Nous sommes tous appelés  à nous lever et à nous mobiliser pour éviter les drames, prévenir les conflits, travailler à un bel avenir. Tant de nos proches sont loin de Dieu ; si nombreux sont ceux qui ignorent la tendresse et la miséricorde du Sauveur. N’est-ce pas un drame ? C’est la reprise des catéchismes ; pouvons-nous rester passifs, tels des « chiens muets », face à la spirale de déchristianisation et de déstructuration des nouvelles générations ? Si nous ne voulons pas entendre, dans l’avenir, résonner le son du tocsin, levons-nous courageusement, avertissons, annonçons la Bonne Nouvelle pour que dans chaque cœur résonne le son de la volée qui nous dit que le Christ est vivant, qu’il est l’Amour et qu’il est véritablement le chemin, la vérité et la vie. Il est par excellence Le Libérateur.

 

Père Gilles Morin,

Curé