Tu m’offres ton Fils ; je t’offre aussi le mien

 

Les circonstances sont parfois déroutantes. Ce dimanche est pour nous celui du Trophée des familles. Or les textes de la liturgie nous mettent en présence de deux femmes ; l’une et l’autre ont perdu leur mari ; les voilà maintenant frappées par la mort de leur fils. Avouons-le : ces deux veuves endeuillées ne reflètent guère un modèle familial. Que viennent-elles nous enseigner en ce jour où maris et femmes avec leurs petits et moins petits vont se détendre et concourir dans notre grande cour de Notre-Dame de Nazareth ? En cette année de la foi, elles sont pour nous modèles de foi. La veuve dont nous parle le livre des Rois fait particulièrement mon admiration. «Donne-moi ton fils ! » lui demande le prophète Elie … et elle le lui donne. Au plus profond de sa souffrance, elle ne refuse rien à celui qui est à ses yeux l’homme de Dieu. Voilà qui me rappelle une histoire bien édifiante :

 

Un missionnaire, visitant le petit village de Karwa au Tchad, est heureux de célébrer la messe pour une trentaine de chrétiens, silencieux et recueillis, sous le toit de chaume qui leur sert de chapelle. Nous voici à l’offertoire ; avec le célébrant qui tient à deux mains la patène et la soulève dans un geste de sublime offrande, chaque maman élève vers le Seigneur son offrande bien à elle, son enfant, son plus jeune, son préféré, et prononce à haute voix : « Père Eternel, tu m’offres ton Fils, je t’offre aussi le mien« . Parmi elles, il y a Paulina qui, joyeusement, porte en ses bras son petit Louis, remuant et jaseur, son unique.

Quelques semaines plus tard, deux émissaires du village arrivent en plein midi chez le missionnaire : « Viens vite, Père ! et apporte la piqûre ; l’enfant de Paulina va mourir ! Le serpent noir l’a mordu. Viens avant que la mort l’attrape ». Le Père part, se précipite, fait au plus vite. Hélas ! il arrive trop tard. Le petit Louis est déjà mort, enveloppé dans un drap blanc, reposant dans une fosse creusée près de la case. Paulina crie de douleur. Sa voix s’élève dans Karwa. Elle pleure son enfant chéri.

Quelques jours plus tard, le Père revient dans la brousse de Karwa, s’approche doucement de Paulina et lui murmure : « Je sais que tu as beaucoup de peine … aussi j’ai prié pour toi. C’est une grande épreuve qui te frappe et mon cœur souffre avec le tien. Tu es chrétienne, Paulina ; j’espère que tu ne l’oublies pas et que dans ton cœur tu ne te révoltes pas contre Dieu ». Cette mère endeuillée se redresse alors. Tout son être se révolte : « Comment, Père ! N’est-ce pas toi qui m’a appris à offrir mon fils à Dieu à chaque messe ? Tu crois donc que je n’étais pas sincère quand je disais : « Père Eternel, tu m’offres ton Fils, je t’offre aussi le mien ? » Est-ce que moi, maintenant, je vais me révolter ? Non, Père ; Le Seigneur a donné, le Seigneur a repris. Je lui ai offert mon petit Louis ; il est à Lui pour toujours ; je sais que là-haut, il vit ».

 

En nos temps tourmentés, il est si précieux d’avoir de tels témoignages qui nous rappellent que tout vient de Dieu et que tout appartient à Dieu. Nos familles ne sont pas de simples constructions sociales remises entre les seules mains humaines dans une spirale individualiste. Elles sont le lieu du don de Dieu, du don de soi, et du don à Dieu. Le Seigneur, nous redit aujourd’hui : « Donne-moi ». Par-delà la dureté et les complexités de nos routes, par-delà même nos vues trop humaines, donner à Dieu et lui redonner sans cesse, c’est avancer sur un chemin de foi qui mène toujours à la résurrection et la vie.

 

Père Gilles Morin

Curé

Le Sacrement qui rend tout possible

 

« Tout est possible si une nouvelle ère eucharistique devient ce qui anime la vie de l’Eglise, affirmait avec force le pape Jean-Paul II au début de son pontificat. Que l’amour et l’adoration de Jésus dans le Saint-Sacrement soient donc le signe le plus lumineux de notre foi ».

 

En ces temps difficiles, la Vierge Marie est là à nous rappeler que «  rien n’est impossible à Dieu « . Elle le sait ; elle l’a enseigné. Elle, la Vierge par excellence, a conçu du Saint Esprit le Fils éternel du Père ; Elle, premier ostensoir vivant, a porté au monde Jésus-Sauveur. À son image, il nous faut adorer, contempler et rayonner le Corps du Christ. En son adoration est le signe le plus lumineux de notre foi.

 

L’adoration : être bouche bée devant le Saint-Sacrement, quelle merveille ! C’est le cœur du cœur, l’attitude la plus amoureuse et donc la plus fondamentale. Elle nous est pourtant si difficile. Un simple souvenir pour vous le redire : Vers la fin du mois d’août dernier, j’étais en semaine de retraite spirituelle avec mes frères Religieux de Saint Vincent-de-Paul. Une journée entière était réservée à l’adoration du Saint Sacrement. J’étais face à Jésus, les yeux rivés sur l’ostensoir, admirant la blanche hostie. Dans le silence, je savourais en mon cœur le doux murmure intérieur de mon Seigneur et Sauveur. Mais voilà qu’un papillon de nuit se mit à virevolter. Il tournicotait autour de l’ostensoir, je ne voyais plus que lui ; il me dissipait, m’exaspérait … plus moyen de discipliner mon regard pour le fixer sur l’Amour de ma vie. Et voilà, de plus, qu’entra l’un de nos frère âgés, mal entendant. Jusqu’alors, j’étais dans le silence, mais son sonotone se mit à siffler et à siffler encore. C’était, me semblait-il, du  » non stop « . Je  focalisais sur ce bruit, je n’entendais plus que lui ; il m’agaçait, me perturbait … plus moyen de jouir de la douce voix du grand Amour de ma vie.

 

Telle est bien la réalité de notre quotidien trop souvent marqué par l’agitation, la dissipation et l’excitation. Nous sommes si fragiles et inconstants qu’un rien nous détourne de l’admiration, de la contemplation et de l’adoration. Ce ne sont pas d’abord nos actions en tout sens, si nécessaires soient-elles, qui transfigureront notre monde et feront de notre cœur un petit paradis. C’est ce grand mystère de l’Eucharistie que nous fêtons en ce jour, c’est cette présence du Corps et du Sang de notre Seigneur, vraie vie de l’Eglise, qui rend toujours tout possible.

 

En cette solennité de la Fête-Dieu, nous laissons résonner en nous l’appel de notre pape François à ne pas nous engoncer dans le bien être ni nous assoupir, à ne pas nous disperser ni nous recroqueviller, à sortir jusqu’aux périphéries, non pour nous agiter mais pour évangéliser … pour porter et montrer à tous le Corps et le sang de Celui qui nous aime à l’infini et qui rend Tout possible. Oui, au Saint-Sacrement, rien n’est impossible !

 

Père Gilles Morin

Curé