Ma royauté, et pas la vôtre

 

C’était en 1925. En réponse aux régimes politiques athées et totalitaires qui niaient les droits de Dieu et de l’Eglise, le pape Pie XI faisait paraître l’encyclique « Quas Primas » et instituait la solennité liturgique du Christ-Roi. « Si les hommes, écrivait-il, venaient à reconnaître l’autorité royale du Christ dans leur vie privée et dans leur vie publique, des bienfaits incroyables se répandraient infailliblement sur la société tout entière.

Si les princes et les gouvernants légitimement choisis étaient persuadés qu’ils commandent bien moins en leur propre nom qu’au nom et à la place du divin Roi, il est évident qu’ils useraient de leur autorité avec tout la vertu et la sagesse possibles. Dans l’élaboration et l’application des lois, quelle attention ne donneraient-ils pas au bien commun et à la dignité humaine de leurs subordonnés

Oh ! qui dira le bonheur de l’humanité si tous, individus, familles, Etats, se laissaient gouverner par le Christ ! »


Avouons que si chacun de nous laissait parler son cœur dans le sens de la solennité de ce jour, nous entendrions comme une grande lamentation : « Où donc est ce bonheur ? Où est cette royauté du Christ ? Où en est notre humanité ? » Il est fort à parier que nous reprendrions presqu’à l’unissons cette supplication de Charles Péguy : « Notre Père, notre Père qui êtes au royaume des cieux, de combien il s’en faut que votre règne arrive au royaume de la terre … O mon Dieu, si on voyait seulement le commencement de votre règne. Si on voyait seulement se lever le soleil de votre règne. Mais rien, jamais rien … Si on voyait poindre seulement le jour de votre règne ».

 

Que se passe-t-il donc ? Où va notre monde ? Nous sommes tentés de réprimander Dieu, en poursuivant avec Charles Péguy : « Ce qui règne sur la face de la terre, rien, rien, ce n’est rien que la perdition … On dirait, mon Dieu, mon Dieu, pardonnez-moi, on dirait que votre règne s’en va. Jamais on n’a tant blasphémé votre nom. Jamais on n’a tant méprisé votre volonté. Jamais on n’a tant désobéi … O mon Dieu, que votre règne arrive ».

 

Le Christ, Jésus-Sauveur, nous rappelle alors ce que nous sommes si souvent portés à oublier : « « Mon royaume n’est pas de ce monde » ; non, je ne suis pas à étaler ma puissance selon vos manières humaines ; comme jadis, me voici humilié, moqué, rejeté. Mais regarde plus profondément, vois plus loin, avec les yeux de la foi. Par-delà les apparences, reconnais toujours en moi « l’alpha et l’oméga, …celui qui est, qui était et qui vient ». Tu me cries, « Que ton règne vienne ! » et tu as raison. Mais je te le redis : « Ma royauté n’est pas de ce monde ». Et puis, pour manifester mon règne aujourd’hui, je n’ai guère que tes mains, ton visage et ton cœur. Voudrais-tu étaler un quelconque triomphalisme ? Non, bien sûr. Tu veux faire régner l’Amour, et l’Amour incarné, c’est Moi. Un jour viendra, oui, − et il viendra − où tu me verras venir dans la gloire, « avec les nuées du ciel ». Alors, tous les peuples me verront, me serviront et chanteront : « À Toi gloire et puissance pour les siècles des siècles ». Tu en es sûr, n’est-ce pas ? C’est d’ailleurs ce que tu proclames chaque dimanche lorsque ces mots sortent de ta bouche : « Il reviendra dans la gloire pour juger les vivants et les morts, et son règne n’aura pas de fin » ?

 

Père Gilles Morin

Curé

Quel jour ? Quelle heure ?

 

Peut-être l’un ou l’autre d’entre vous connaissent-ils « le Plateau » à Abidjan. Il s’agit d’une grande place dans un quartier central surélevé de la capitale économique de la Côte d’Ivoire. J’y passais assez régulièrement lorsque j’étais en mission en Afrique. Cette place était réputée comme étant le lieu des harangues de prédicateurs en tous genres. Une voix forte s’élevait : « Attention ; craignez ; la fin du monde approche … » Les passants s’arrêtaient et restaient suspendus aux lèvres de ces beaux parleurs qui, le plus souvent, ne manquaient pas de talents. La puissance de leur voix et le contenu de leur message cataclysmique avait effectivement de quoi inquiéter et faire trembler. Pensez donc : la fin du monde, c’était pour demain ou après-demain. Pour ma part, j’écoutais quelques instants en curieux. Je n’avais aucunement l’air d’un angoissé … tout au contraire, je souriais. Tant de voix, au fil des siècles, avaient déjà prédis la fin du monde, et celui-ci pourtant continuait de tourner.

 

Nous approchons du 21 décembre 2012. J’imagine que la place du « Plateau » doit être particulièrement animée. Selon une certaine lecture d’un calendrier maya, ce serait elle la vraie date, celle de tous les cataclysmes devant anéantir notre planète Terre. On a même été jusqu’à en faire un film. Ce type de discours apocalyptique peut bousculer et faire trembler ; il trouve toujours son lot d’adeptes et plus encore de curieux angoissés. Attention : Jésus affirme clairement dans l’Evangile de ce dimanche : « Quant au jour et à l’heure, nul ne les connaît, pas même les anges dans le ciel, pas même le Fils, mais seulement le Père ».

 

Certes, Saint Marc nous parle de ces temps où, « après une terrible détresse, le soleil s’obscurcira et la lune perdra son éclat. Les étoiles tomberont du ciel, et les puissances célestes seront ébranlées ». Mais il s’agit là d’un style littéraire bien connu à l’époque qui renvoyait à des questions lancinantes et de tous temps : L’humanité va-t-elle irrémédiablement à sa perte ? ou alors le Bien triomphera-t-il ? que sera la fin du monde ? Par-delà des images de bouleversements cosmiques, dans l’Evangile de ce jour « un coin du voile est levé,  une véritable révélation nous est donnée » (c’est le sens du mot « apocalypse »). La victoire de Dieu est annoncée. Jésus ne vise pas le catastrophisme ; il annonce son retour dans la gloire.

 

Finalement, qu’importent le jour et l’heure si nous sommes « toujours prêts … prêts comme la petite Thérèse qui disait à son Jésus : « Ma vie n’est qu’un instant, une heure passagère ; ma vie n’est qu’un seul jour qui m’échappe et qui fuit. Tu le sais ô mon Dieu, pour t’aimer sur la terre, je n’ai rien qu’aujourd’hui ».

 

Père Gilles Morin

Curé