Rude bataille

 

Parmi les choses qui m’émerveillent, il y a la main d’un bébé. J’aime, lorsque je vais voir et bénir un enfant qui vient de naître, toucher sa main et lui tendre l’un de mes doigts. Aussitôt il s’en saisit et le serre avec une force surprenante. Je m’en étonne toujours.

 

Dimanche dernier, j’ai dû livrer un rude combat, non point dans un bras de fer face à un colosse impressionnant mais contre une main toute petite, ô combien puissante. C’était le moment de la communion. Un papa s’approche, tenant dans ses bras son garçon d’à peine deux ans. Je remarque le regard de l’enfant qui scrute le contenu du ciboire. Dignement, j’élève l’une des hosties en prononçant ces mots que nous connaissons bien : « Le corps du Christ ». Puis je dépose Jésus dans la bouche du communiant. Avec une promptitude déroutante, la main du petit plonge alors dans le ciboire et s’empare d’une poignée du trésor, comme on le ferait, avide, avec des pièces d’or. J’interviens rapidement, mais là commence la bataille. Il ne veut pas lâcher, ce coquin ; il résiste. Je tente évidemment de desserrer ses doigts, mais ils sont si puissants. Il faut lutter habilement pour ne rien briser ni déchiqueter. Je finis tout de même par triompher. J’offre alors mon plus beau sourire à cet enfant quelque peu frustré. Ce n’est de ma part aucunement le sourire arrogant de celui qui étale sa force, mais le reflet de ce qui habite alors mon cœur et qui n’est autre qu’un élan d’émerveillement. Ce petit nous enseigne. Lorsqu’il aura suffisamment grandi, lorsqu’il sera capable « de discerner le pain eucharistique du pain ordinaire et corporel », je ne doute pas qu’il fera une superbe et fervente première communion.

 

Par-delà ce combat, quelles leçons ! Ce corps du Christ n’est-il pas fait pour être contemplé et mangé ? Il s’agit du pain vivant descendu du ciel, du pain de la route, du pain sans lequel nous ne saurions avoir la plénitude de la vie. Ce petit a été fasciné et attiré ; il a contemplé ; il a voulu manger. Les Pères de l’Eglise ont insisté sur l’importance de sanctifier nos yeux avant de recevoir le Corps de Notre Seigneur. « Que personne ne mange cette Chair qu’il ne l’ait auparavant adorée, enseigne saint Augustin. Non seulement ce n’est pas un péché de L’adorer, mais ce serait un péché de ne pas L’adorer ». Adorer, puis communier, c’est vraiment le sommet de l’amour, c’est déjà le Ciel sur notre terre et en notre cœur.

 

Prenons-nous le temps d’adorer ? Comment nous avançons-nous pour communier ? On ne doit pas s’emparer du Corps du Christ ; il est livré pour être donné … donc pour être reçu … pas seulement par moi et par vous, mais par tous… pour être accueilli par ceux qui, tout à la fois, le reconnaissent comme Sauveur et se reconnaissent pécheurs.

 

Aujourd’hui, nous allons porter solennellement le Corps du Christ à travers les rues de notre quartier. Nous allons « sortir jusqu’aux périphéries existentielles », selon l’expression de notre pape François, comme si nous allions vers nos frères pour les prendre dans nos bras afin de les approcher de Jésus-Hostie, non pour qu’ils s’en emparent mais pour qu’avec discernement et esprit de foi, ils se disposent à le reconnaître et à le recevoir. Puissent-ils, avec la grâce de Dieu, s’en étonner et s’en émerveiller.

Père Gilles Morin,

Curé

Le Ciel en notre cœur et dans nos familles

 

C’était le samedi 25 avril au soir. Je célébrais la messe en notre église. J’étais débordant de joie. Certes, c’est toujours une grâce immense pour un prêtre de célébrer l’eucharistie, mais ce soir là, il y avait une tonalité particulière. Ma famille était présente, toutes générations confondues : mes frères et sœurs, neveux et nièces, petits neveux et petites nièces. Ils s’étaient réunis pour m’entourer à l’occasion de mes 60 ans. Ce ne sont guère des piliers d’Eglise ni des pratiquants réguliers, loin s’en faut, mais il était évident pour tous qu’il fallait commencer par la messe. Quelle joie, donc, de les voir se signer de la croix, au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit !

 

–          Tous portèrent leur main à leur front, comme pour signifier : « Seigneur, je veux t’aimer de toute mon intelligence ».

–          Puis leur main, en même temps que la mienne, se posa au milieu de leur poitrine, comme pour affirmer : « Seigneur, je veux t’aimer de tout mon cœur ».

–          Enfin, avec toute l’assemblée, leur main passa d’une épaule à l’autre ─ elles sont solides nos épaules ─, comme pour conclure : « Seigneur, je veux t’aimer de toutes mes forces ».

C’est tellement beau une famille qui n’oublie pas le signe du chrétien et qui, d’un même mouvement du cœur et du corps, pose ce geste en invoquant le Père, le Fils et l’Esprit-Saint ! Dieu est trinité ; il est communion d’Amour infini. N’est-ce-pas la splendeur de la vocation de toute famille que de refléter cette révélation en étant le lieu par excellence de l’unité dans l’amour ?

 

Cette vérité de foi qu’est le mystère de la Sainte Trinité ne saurait rester pour nous un simple enseignement dogmatique formulé dans le catéchisme de l’Eglise Catholique. Elle doit nous rejoindre au plus profond de nous-mêmes et illuminer notre quotidien. C’est une pure merveille. « Il me semble, écrivait la Bienheureuse Élisabeth de la Trinité, que j’ai trouvé mon Ciel sur la Terre, puisque le Ciel c’est Dieu, et Dieu est en mon âme. Le jour où j’ai compris cela, tout s’est illuminé pour moi … Cette intimité de l’âme baptisée avec le Père, le Fils et le Saint-Esprit est l’essence même de notre vie spirituelle. Il faudrait le crier sur les toits ». Puissions-nous, nous aussi, le comprendre pour que tout s’illumine en nous et autour de nous, à commencer au sein de notre famille.

 

Je le répète : mes frères et sœurs, neveux et nièces, petits neveux et petites nièces ne sont guère des piliers d’Eglise ni des mystiques portés à crier sur les toits qu’ils sont habités au nom de la Trinité Sainte. Ils seraient sans doute bien démunis pour se lancer dans des discussions sur cette vérité centrale de la foi catholique. Il n’empêche : ils restent capables, sans honte aucune, de faire sur eux-mêmes un beau signe de croix. Par ce simple geste, ils crient à leur manière, bien pauvrement et imparfaitement, qu’ils croient en Dieu, Père, Fils et Esprit-Saint. Ma famille, en effet, toutes générations confondues, à l’une ou l’autre exception près, est une famille de baptisés. Quelle grâce !

 

Oui, j’étais tout à la joie en ce samedi 25 avril. Nous étions tous rassemblés. Etaient même présents, invisiblement mais réellement, mon papa et ma maman qui, de l’au-delà j’en suis sûr, nous voyaient et se réjouissaient. Je pense particulièrement à ma maman qui a tant fait pour que nous vivions de l’Amour Trinitaire. En ce dimanche de la fête des mères, comment pourrais-je l’oublier ? Bonne fête, maman, et un immense merci … et bonne fête à toutes les mamans, et merci.

 

Père Gilles Morin,

Curé