Ces pasteurs qui m’ont façonné

 

Sans eux, que serais-je devenu ? Sans doute « un chien perdu sans collier ». Prêtres, religieux et religieuses ont marqué l’histoire de ma famille et en particulier la mienne. Aussi loin que je puisse remonter dans ma mémoire, je les vois à des moments déterminants, m’accompagnant, me guidant, parfois même me sauvant. J’aurai pu m’égarer et errer ; ils m’ont relevé et élevé. Tant de fois, mon adversaire, le diable, comme un lion rugissant, a rôdé, cherchant à me dévorer (1P 5, 9). Tant de fois, le loup s’est approché, a failli m’attraper et me déchiqueter. Toujours, ces pasteurs se sont exposés et interposés. Je leur dois tant ; sans eux, qui serais-je aujourd’hui ?

 

1955 : c’est l’année de ma naissance. C’est aussi la sortie du film de Jean Delannoy : « Chien perdu sans collier ». Le roman de Gilbert Cesbron paru l’année précédente connu un immense succès de librairie. Il méritait d’être mis à l’écran. L’histoire n’est autre que celle du sort d’enfants qui commettent des délits et qui, issus de milieux sociaux défavorisés, sont aidés par un juge. Celui-ci est magnifiquement interprété par Jean Gabin. Sous des dehors bourrus, cet homme est bon et compréhensif. Particulièrement pour le jeune Francis, âgé de 15 ans, il se montrera bon pasteur, lui prodiguant moult conseils et une bonne dose d’affection.

 

Je le redis : sans mes bons pasteurs, il est fort à parier que je serais devenu moi aussi « un chien perdu sans collier ». Dans notre monde, les dangers sont multiples. Tous nous sommes agressés ; tous nous sommes une proie facile à dévorer ; tous nous avons donc besoin de bons bergers. Les prêtres sont pour nous la présence agissante et sanctifiante du Bon Pasteur. Religieux et religieuses sont à nos côtés pour nous accompagner sur le chemin de la Vie, nous le désigner, prêts à s’exposer pour nous sauver. Tant de nos contemporains sont dépourvus aujourd’hui d’une telle présence. Leur quotidien est sans Dieu ; le Malin les égare et s’en empare ; ils ne savent vers quelle source de bonheur se tourner ; ils sont finalement dévorés. Si seulement ils avaient à leur côté de bons pasteurs !

 

Vendredi dernier, au cours d’un temps de prière avec les enfants du patronage, je me suis un peu emporté. J’invitais ces petits à prier à l’intention des vocations. L’un d’eux n’écoutait guère et perturbait ces voisins. Je me suis alors lancé avec fougue dans une exhortation, leur disant en substance : « Il y a trop peu de prêtres, de religieux et religieuses. Vous allez grandir, avancer dans la vie. Qui vous mariera ? Qui célèbrera les obsèques de ceux qui vous sont chers ? Qui vous nourrira de l’Eucharistie ? … Et vos enfants, seront-ils à traîner dans la rue ? Où trouverez-vous un patronage comme la J.A.V. s’il n’y a plus de Frères ni de prêtres ? » Ce fut un grand silence. Mon emportement quelque peu passionné dut impressionner. Confusément sans doute, ces enfants réalisèrent un peu qu’ils ne voulaient pas être  « des chiens perdus sans collier » et qu’ils ne sauraient se passer de Dieu. Notre prière pour les vocations fut belle et fervente. A nous tous de joindre la nôtre à celle de ces petits.

 

Père Gilles Morin, curé

Devoir de mémoire

 

Depuis dimanche dernier, Grégoire de Narek est devenu le 36ème docteur de l’Eglise. Notre pape François en a ainsi décidé. Cette proclamation se situe dans le contexte du centenaire du génocide arménien. Cette page d’histoire qui remonte à un siècle est le drame de tout un peuple que l’humanité ne saurait oublier. Le 3 juin 2013, notre Saint-Père François avait qualifié ce drame de « premier génocide du XXe siècle ». Dans la lettre qu’il vient d’adresser à nos frères et sœurs Arméniens, il écrit : « Un siècle s’est écoulé depuis l’horrible massacre qui fut un véritable martyre de votre peuple, dans lequel beaucoup d’innocents sont morts en confesseurs et martyrs pour le nom du Christ …/… ce fut vraiment le « Metz Yeghern », le  « Grand Mal », comme vous avez appelé cette tragédie ».


On pourrait être tenté de relativiser ce passé, de le considérer comme de l’histoire ancienne, en des temps révolus… Mais les pages d’histoire sanglante qui s’écrivent aujourd’hui en de multiples régions du globe prouvent qu’il n’en est rien. « Faire mémoire de tout ce qui est arrivé, dit encore notre Pape, est un devoir, non seulement pour le peuple arménien et pour l’Église universelle, mais aussi pour toute la famille humaine, afin que l’avertissement qui vient de cette tragédie nous évite de retomber dans des horreurs semblables qui offensent Dieu et la dignité humaine ». Le Pape François nous invite donc à nous unir spirituellement à la cérémonie de canonisation des 1,5 million de victimes du génocide de 1915 qui aura lieu jeudi prochain 23 avril, en la cathédrale de l’église arménienne d’Etchmiadzin. Saint Grégoire de Narek y sera bien évidemment invoqué et prié. C’était un moine arménien du Xème siècle. Ce grand mystique,  a affirmé le Pape, « a su exprimer plus que tout autre la sensibilité de son peuple, donnant une voix au cri, qui devient prière »… Au plus fort de l’épreuve, il criait ainsi sa confiance en Dieu: « Dans l’attente certaine de sa puissance, je crois avec une indubitable espérance, me confiant dans la main du Tout Puissant… que je le verrai, Lui en personne, grâce à sa miséricorde et à sa pitié, et que j’hériterai du Ciel ».

 

En ce dimanche, providentiellement, le psalmiste nous invite à vibrer avec nos frères arméniens : « Quand je crie, réponds-moi » (Ps 4,1) supplie-t-il. Ils sont nombreux ceux qui crient vers Dieu aujourd’hui. Et ce même psalmiste de poursuivre : « Dans la paix moi aussi, je me couche et je dors, car tu me donnes d’habiter, Seigneur, seul, dans la confiance ». Puissent-ils être nombreux ceux qui, accueillant la paix du Ressuscité, trouvent le repos dans la confiance. Crions avec eux ; que notre cri devienne prière ! Crions pour eux et crions aussi pour nous lorsque nous sommes au creux de l’épreuve … mais toujours, que notre cri soit prière.

 

Père Gilles Morin, curé