Ne voyez-vous pas ?

 

Qu’il serait bon que nos dirigeants prennent le temps de méditer cet évangile de l’aveugle-né que nous lisons en ce dimanche. En leur domaine, les pharisiens, eux-aussi, étaient des dirigeants. Ils étaient lettrés, pétris des Écritures et connaissaient donc les prophéties. Ils croyaient savoir ; ils étaient persuadés de voir. Et pourtant … Oui, pourtant, ils  en viennent à refuser la Lumière et à endurcir leurs cœurs. « Sommes-nous des aveugles ? », lancent-il avec arrogance à Jésus. Et celui-ci de leur adresser ces paroles cinglantes : « Si vous étiez aveugles, vous n’auriez pas de péché ; mais du moment que vous dites : Nous voyons ! Votre péché demeure ». Ces pharisiens ne disent aucunement : « Nous ne savons pas ; nous ne voyons pas ». Imbus d’eux-mêmes, ils affirment au contraire : « Nous savons ; nous voyons … Nous savons que tu n’es pas le Messie ; nous voyons que tu n’es qu’un imposteur ». En ces notables religieux, aucune remise en question. De même qu’ils expulsent de la synagogue celui qui a été guéri de sa cécité, de même vont-ils en venir à exclure ce Jésus hors de Jérusalem pour le crucifier. Quel drame ! Ils avaient tout pour voir et ils demeurent dans leur péché. Revendiquant leur titre de « guides » du peuple, ils ne sont finalement que « des aveugles qui guident des aveugles ! Or, affirme Jésus, si un aveugle guide un aveugle, tous les deux tomberont dans un fossé (Mt 15,14) ».

 

Trop nombreux sont les dirigeants, sûrs d’eux-mêmes, qui sont persuadés de voir et de savoir. Parfois avec une certaine arrogance et un ton ironique, ils sont là à lancer au tout venant  et même aux hommes d’Eglise: « Sommes-nous des aveugles ? » Forts de leurs pseudo-certitudes, ils ironisent : « Nous sommes des rationalistes ; nous ne sommes pas crédules ; nous ne voulons pas de votre Jésus, de votre Messie ; il faut une société sans Dieu : Laïcité, laïcité et encore laïcité, voilà notre religion ». Et pourtant, messieurs les dirigeants, ne voyez-vous pas ?… Pourquoi nier nos racines et notre histoire ? Pourquoi contester les fondements de notre culture ? Pourquoi s’en prendre à la famille et à la vie ? Pourquoi refuser de reconnaître l’œuvre immense de l’Eglise, au nom du Christ, dans des domaines aussi divers que l’art, la littérature, les sciences et la musique ? Pourquoi édulcorer voire masquer les origines de nos écoles et de nos hôpitaux ? etc … « Nous voyons ! »,  affirmez-vous. Non, vous êtes aveugles et votre péché demeure. Avec le Christ, je dis bien « votre péché » car ce m’est un devoir de vous le dire. S’il vous plaît, je vous en supplie, remettez-vous en question, comme vous le demande Jésus. Vous êtes de plus en plus portés à l’expulser de notre pays ; pourtant, que vous le vouliez ou non, la France est « fille aînée de l’Eglise ». Je le répète : remettez-vous en question. C’est important, éminemment important, pour le salut de votre âme mais aussi pour l’ensemble des françaises et français qui, de plus en plus, ont le sentiment d’être guidés vers un fossé.

 

Ah ! j’allais oublier : C’est le carême. Avec tous les chrétiens, j’essaie de me convertir, de me remettre en question. Je sais donc, par expérience, combien cela est difficile. Soyez donc sûrs de mes prières. De plus, je suis trop souvent aveugle sur moi-même. Priez donc vous aussi pour moi, afin que j’accueille davantage Celui qui n’est autre que  » la lumière venue dans le monde » et que je me laisse illuminer et transfigurer par Lui. Avec l’aveugle-né, je voudrais tellement pouvoir dire avec plus de force, de joie et d’amour : « Je crois, Seigneur ». Vous aussi, ne le voulez-vous pas ?

 

Père Gilles Morin

Curé

L’ivresse du monde ou l’eau vive ?

 

C’était il y a cinq ou six ans, un vendredi de carême. Ma journée avait été particulièrement chargée et je ressentais la fatigue. L’heure était avancée, les lumières étaient éteintes, tant celles de l’allée que celles des chambres et bureaux de mes Frères en communauté. Il devait être environ 23h30 et, je ne sais trop pourquoi, le portail sur rue n’était pas encore fermé. J’étais assis à mon bureau lorsque soudain un bruit violent me fit sursauter. Relevant la tête, j’aperçu un visage écrasé contre l’une de mes vitres et, par le fait même, complètement défiguré Puis, distinctement, sur le pas de ma porte, je vis finalement deux jeunes inconnus, l’un soutenant l’autre. Face à mon étonnement et à mon questionnement, le plus âgé me présenta ses excuses : « Pardonnez-lui, Père, me dit-il en désignant son camarade, mais il a trop bu ». Son état d’ébriété était en effet patent. Tous deux s’apprêtaient alors à s’éclipser ; je parvins à les retenir quelques instants. Au terme de notre échange, ils s’en retournèrent  paisiblement en m’adressant de grands « merci ». Durant ces trop brèves minutes, en cette heure tardive d’un vendredi de Carême, ils avaient pu entendre de la bouche d’un prêtre des paroles d’invitation à aller puiser à la source de la vraie joie pour savourer un vrai bonheur.

 

Je vous l’avoue en toute simplicité : mon premier mouvement intérieur fut la réaction scandalisée. « Aller s’enivrer et « s’éclater » un vendredi de Carême ; pauvre Jésus ; vois comme on continue de te traiter » me disais-je en moi-même. Pourtant, sans nul doute, ces jeunes avaient soif. Certes, ils allaient puiser à des « citernes lézardées », à des sources empoisonnées. Ils avaient beau boire, et boire encore … leur soif n’était pas étanchée, ils n’étaient pas désaltérés. Au bout du compte, ils étaient désemparés et écœurés ; ils finissaient par s’écraser et être défigurés. Pour ma part, j’étais assis, comme Jésus au bord du puits ; eux étaient debout comme la Samaritaine. Notre échange fut de la tonalité de celle de l’Evangile que nous lisons en ce jour. Ils avaient fondamentalement soif d’amour, soif d’infini, soif d’eau vive. Pour ma part, j’avais soif de leur cœur ouvert, de leurs confidences, de leur confiance, de leur écoute de la Parole de Dieu. Avant qu’ils s’en retournent, nous avons fait une petite prière ensemble. Leurs visages s’illuminèrent. Ce soir-là, vous le devinez, je m’endormis dans l’action de grâce.

 

Nos vies tournent parfois à certaines formes d’enivrement. Nous usons et abusons des biens de ce monde comme s’ils étaient à même de combler notre cœur. Nous sommes parfois dans la spirale de l’ivresse des plaisirs … et pour quel résultat ? Tôt ou tard, nous déchantons, nous nous écrasons, et nous nous retrouvons défigurés. Tous nous avons soif, certes, et c’est heureux. Il faut en effet avoir soif : soif d’amour, de bonheur, de beauté, de sainteté. Alors écoutons le Seigneur, toujours assis à nous attendre, nous redire doucement : « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive, celui qui croit en moi ! » (Jn 7,37). Oui, nous dit Jésus, « vous tous qui avez soif, venez … moi, je vous donnerai de l’eau vive … celui qui boira de cette eau n’aura plus jamais soif ». Notre expérience nous le confirme : il y a la tentation de l’ivresse du monde ; et il y a la séduction de l’eau vive. Laissons-nous attirer par le puits … ou plus exactement, laissons-nous séduire par Jésus qui est au bord du puits. On est si bien avec Lui, blotti contre son cœur d’où jaillissent des fleuves d’eau vive.

 

Père Gilles Morin,

Curé