Nullement évanescent

 

C’était dimanche dernier à la sortie de la messe de 8h45. L’un de nos vieux paroissiens m’aborde, les yeux embués sans être pour autant effondré. Je le sens éprouvé mais avec un visage éclairé exprimant une grande dignité. Il m’annonce le décès de sa chère épouse qui, durant de longues années étaient à ses côtés de dimanche en dimanche sur les bancs de notre église. Depuis quelques mois, elle ne pouvait plus venir jusqu’à nous. À chaque messe dominicale, son mari déposait sur l’autel une custode qu’il recevait avec ferveur après la communion, chargée d’une hostie qu’il portait précieusement à sa femme alitée. « J’adorais ma femme » me dit-il. Dans mon enfance, mes parents me répétaient pourtant à l’envie : « On n’adore que Dieu seul ». Ils avaient raison.. Mais par-delà l’expression inappropriée de ce vieux monsieur, j’admirais ce qu’elle recouvrait à ses yeux. Sa femme, c’était le grand amour de sa vie, de toute une vie. Il ajouta : « Nous étions dans notre 67ème année de mariage ». Qui prétendra que l’amour n’est qu’évanescent, qu’il ne dure qu’un temps ?

 

D’année en année, quand je le peux, j’aime aller passer quelques jours dans ma belle Bretagne. Je peux rester des heures à contempler la mer, à admirer les vagues parfois violentes qui frappent falaises et rochers. Ils sont de granit. C’est comme s’ils parlaient aux flots déchainés : « Frappez, frappez encore, vous ne pourrez nous ébranler. Nous sommes faits de granit, et le granit c’est solide ». Qui affirmera que le granit ne peut résister, qu’il ne peut qu’être emporté ?

 

En ce dimanche, nous voulons souligner particulièrement nos jubilaires de mariage. Les plus anciens rendent grâce à Dieu pour leurs 68 ans d’union conjugale. Ils fêtent ce qu’on appelle justement leurs noces de granit. Quelle route parcourue ! Quelles tempêtes traversées ! Quelles joies partagées ! Leur présence parmi nous, leur témoignage radieux et leur proximité courageuse contestent Job qui, dans la première lecture, semble ne voir dans la vie qu’une corvée au point de désespérer. Les flots déchaînés de notre société pourront toujours assaillir deux cœurs qui s’aiment. Si leur amour est vraiment à l’image de celui de Dieu, ils résisteront, non pas en se traînant ou en subissant, mais en allant de l’avant et en renouvelant leur offrande. Ils resteront de granit. Jamais ils ne regarderont l’autre comme un boulet ni leurs liens comme une chaîne. Ils iront, et iront toujours, non point seuls mais soutenus par la grâce de Dieu. Allez leur dire que l’amour n’est qu’évanescent, qu’il ne dure qu’un temps ; ils souriront … leur sourire et leur regard chargés d’amour sera leur seule prédication, leur unique réponse. Et vous comprendrez que, bien sûr, il est possible de s’aimer toute une vie. Que serait un amour qui ne souhaiterait durer toujours ? L’amour de Dieu pour nous n’est-il pas de toujours et pour toujours ?

 

Père Gilles Morin, curé

Magnifiques  » dramas « 

 

Je vous le confiais en toute simplicité dans l’éditorial de la semaine passée : Au contact des jeunes, j’en apprends tous les jours. Comme tant de vous, je me sens parfois déphasé avec les générations actuelles. À peine venais-je de découvrir les « pyjamas party » que, quasi dans la foulée, samedi dernier, une jeune pèlerine de notre groupe à Tours entamait avec moi une discussion à bâtons rompus sur ses loisirs :

–       Les dramas, Père, c’est vraiment super, passionnant, exaltant.

Interloqué, je l’interrogeai naïvement, étalant ainsi à ses yeux mon ignorance.

–       Les dramas ? C’est quoi cette bête-là ?

–       Quoi ? Vous ne connaissez pas les dramas ? Ce sont des séries télévisées asiatiques à tonalité dramatique, comme « You’re beautiful ». Vous voulez que je vous raconte ? La version synopsis, ça vous va ?

Aïe ! Encore un problème de langage.

–       «  Synopsis ?«  Qu’est-ce que tu veux dire par là ?

Très vite, je comprends qu’il s’agit de la version brève. Et voilà cette jeune pèlerine qui me fait un résumé des 16 épisodes d’une heure de cette série. Compte tenu de ses propos et du sérieux de cette jeune fille, je devine que le scénario ne sombre ni dans l’immoralité ni dans la vulgarité. Et elle, de m’encourager :

–       Regardez cette série, Père. Vous verrez, c’est captivant

Je ne sais ce qu’il en est, mais 16 heures de télé pour une série, non merci ; je n’ai vraiment pas le temps.

 

Je n’ai pas eu le réflexe de l’inviter à s’immerger davantage dans un autre « drama », autrement plus captivant et exaltant, bien réel celui-là et passionnant : celui de la vie de Jésus de Nazareth. L’expulsion de l’esprit impur qui nous est relaté dans l’Evangile de ce dimanche n’en est qu’un épisode.

 

En ce jour où nous voulons souligner le trésor pour l’Eglise qu’est la Vie Consacrée, j’aimerais l’inviter aussi à prendre le temps d’aller parler avec des religieux et religieuses, et à leur poser cette simple question :

–       Ma Sœur, mon Frère,  mon Père, pourriez-vous me raconter l’histoire de votre vocation ?

Elle verrait alors, là encore dans le réel, combien ces récits sont de vrais et passionnants « dramas », chargés d’une belle intensité amoureuse avec le Christ Sauveur. Peu importe le nombre d’épisodes. Si on ne les réduit pas à la version « synopsis », leur trame a de quoi bouleverser et faire s’émerveiller. Et notre vie peut s’en trouver chamboulée.

 

Père Gilles Morin, curé