L’arc-en ciel : antidote de la désespérance

J’ai une vieille amitié avec l’un de mes confrères, prêtre et religieux de saint Vincent-de-Paul. J’aimais le taquiner lorsque nous étions ensemble au séminaire. Il était ingénieur et donc passionné de physique et de mathématiques. Je me complaisais à lui poser, l’air de rien, des problèmes qui, instantanément, enclenchaient en son esprit tout un mécanisme visant à trouver puis exposer des solutions. Ses réponses m’importaient bien peu … et rares étaient les fois où il s’en rendait compte. Je savourais simplement et malicieusement son front plissé et les patients efforts qu’il déployait pour combler mon ignorance. Tout se terminait par un éclat de rires qui lui révélait qu’une fois de plus, il s’était laissé prendre au piège. Voilà qui égayait nos récréations.

 

Je me souviens de ce jour où, une fois de plus et toujours aussi malicieusement, j’en vins à le provoquer : « Comment se forme un arc-en-ciel ? Et d’où viennent ses sept couleurs : rouge, orange, jaune, vert, bleu, indigo et violet ? » Exceptionnellement, ce jour-là je l’avoue, ses explications me passionnèrent. Il me fit découvrir que l’arc en ciel est un phénomène de dispersion de la lumière du soleil sur un mur d’eau, la lumière étant réfléchie et réfractée à l’intérieur des gouttelettes. Si je me souviens bien, il ajouta que l’on peut observer l’effet d’un arc-en-ciel toutes les fois où il y a de l’eau en suspension dans l’air et que le soleil brille derrière nous.

 

N’est-ce pas Dieu lui-même qui nous invite à contempler ce phénomène ?  « Je mets mon arc au milieu des nuages, affirme-t-il, pour qu’il soit le signe de l’alliance entre moi et la terre » (Gn 9, 12-13). Le ciel de notre monde s’assombrit bien souvent … trop souvent : obscurcissement des intelligences, indifférence spirituelle, dégradation des mœurs, atrophie des cœurs, perte des repères les plus élémentaires etc … On peut ne voir qu’une pluie de débauches et de blasphèmes comme au temps de Noé, et en oublier le soleil qui brille pourtant dans le ciel. Oui, il brille par-delà les nuages et la pluie. Oui, le Seigneur l’a juré : « Je ne détruirai plus ». Qu’il nous suffise de nous souvenir du Christ, soleil levant venu nous visiter, pour découvrir et admirer les arcs-en-ciel qui illuminent le ciel de notre terre. Bien sûr qu’il y a encore des arcs-en-ciel, et de magnifiques … Bien sûr qu’il y a de merveilleuses choses en notre temps, des cœurs fervents, des témoins crédibles de l’Evangile et même de véritables saints. Voilà qui doit nous garder d’un pessimisme déprimant et nous préserver de toute désespérance.

 

Il est beau aussi de laisser résonner en nous la Parole du Seigneur proclamée par le prophète Isaïe : « Voici que je fais un monde nouveau : il germe déjà, ne le voyez-vous pas ? » Et de poursuivre : « Je vais faire passer une route dans le désert, des fleuves dans les lieux arides ». À vues humaines, les déserts et les lieux arides ne manquent pas dans nos sociétés dites modernes. Mais Dieu est Dieu ; il est le Tout-Puissant et le Dieu d’Amour. Avec lui, quelles que soient les apparences, une route peut toujours s’ouvrir, des fleuves peuvent toujours se répandre dans les cœurs. Nous le verrons encore, je n’en doute pas, tout au long du carême. Il y aura des retours à Dieu et des conversions. Il y aura des beaux gestes de partage et de réconciliation. Il y aura plus de bonté et de beauté dans les cœurs. Il y aura comme un magnifique arc-en-ciel qui se dessinera dans l’Eglise, en notre temps, sur notre terre. Il sera pour tous le signe de l’alliance de Dieu avec notre humanité.

Père Gilles Morin
Curé