Accepter d’être secoués et ballottés

 

Je ne sais si j’ai un bon cœur ; ce qui est sûr, c’est que j’ai le cœur fragile. Depuis mon plus jeune âge, tout ce qui me fait balloter, tanguer, tournicoter et virevolter me rend malade … vomis assuré. Pas question de manège ni de balançoire ; pas de défoulement dans les parcs d’attractions en quête d’émotions fortes ; pas même de long voyage en voiture, surtout lorsque les routes sont sinueuses ou la conduite saccadée. Je vous l’ai dit : j’ai le cœur fragile ; je suis très vite malade.

 

Les pèlerins de Terre Sainte se souviennent de notre montée au Thabor, ce lieu où, selon la Tradition, le Christ Jésus fut transfiguré devant Pierre, Jacques et Jean. L’accès y est impossible en car compte tenu de l’exigüité et de la sinuosité de la route. Il faut donc emprunter des véhicules d’une dizaine de places qui nous conduisent, virage après virage, jusqu’à la cime. Autant dire que, sans rien laisser paraître, mon cœur fut malmené dans cette montée. Mais à l’arrivée, quel panorama magnifique sur la plaine d’Yizréel ! Et plus encore, quelle joie de pouvoir pénétrer dans la belle basilique de la Transfiguration : Y célébrer l’eucharistie, quelle grâce ! Recevoir Jésus notre Lumière et notre Vie, quel moment inoubliable ! Avec les apôtres, on ne peut que s’écrier : « Il est heureux que nous soyons ici ». Mais aussi, comme Pierre, Jacques et Jean, il nous faut redescendre … et voilà mon pauvre cœur à nouveau ballotté.

 

Tous ceux qui sont allés un jour où l’autre en ce lieu saint peuvent réveiller de magnifiques souvenirs et s’interroger lucidement : « J’étais si bien avec Jésus sur la montagne ; il m’irradiait de toute part ; il était mon soleil ; ma lumière, mon bonheur et ma vie. Il m’a fait redescendre dans la plaine pour l’accompagner jusqu’à Jérusalem. Où en suis-je donc aujourd’hui ? »

 

Pour nous tous qui cheminons en ce temps du carême, ce dimanche de la Transfiguration est riche de leçons. Le Christ nous attire, mais par des chemins qui ne sont pas nos chemins, par des voies déroutantes, sinueuses et parfois tarabiscotées. Pour nous élever avec Lui et jusqu’à Lui, il nous faut accepter d’être secoués et bousculés. Notre cœur tangue alors, … parfois jusqu’à vomir … vomir notre tiédeur et nos multiples péchés. Mais Vivre au jour le jour avec Jésus, nous élever jusqu’au Thabor ou marcher avec Lui dans la plaine de ce monde, quelle joie ! quelle grâce !  Monter avec Lui à Jérusalem, être à ses côtés dans son chemin de croix, se retrouver au Golgotha, quels combats ! Notre cœur en est malade, malade d’amour. Mais nous le savons, le Christ contemplé dans toute sa majesté en ce dimanche au Thabor est Celui qui, dans la nuit de Pâques resplendira comme Ressuscité … et nous serons véritablement sauvés. Oui, il faut accepter d’être malmenés et ballottés (entre autres dans nos efforts de carême) pour que nos cœurs soient guéris et que nous puissions en toute vérité ressusciter.

 

Père Gilles Morin,

Curé