Madeleine

 

Comment l’oublier ? C’était l’aînée d’une famille amie, africaine, de sept enfants. J’étais alors à Bobo-Dioulasso, au Burkina Faso. Elle avait vingt ans lorsqu’elle fut frappée d’une encéphalite.  J’allais la voir régulièrement à l’hôpital. Ses parents se relayaient sans cesse à son chevet. Ils étaient pauvres ; comment acheter les médicaments et tout le nécessaire pour les différents soins. Notre communauté les soutenait de son mieux. Mais ils étaient riches de foi et d’amour. La santé de Madeleine se dégradait de jour en jour ; c’était sensible ; c’était visible. Lors d’une de mes visites, le papa me demanda de rester seul auprès de sa fille, le temps qu’il ramène à la maison son épouse épuisée qui avait veillé toute la nuit. « Je reviens au plus vite », me dit-il. « Allez-y ; lui répondis-je, je reste là ; j’attends votre retour ». Seul à seule avec Madeleine qui semblait dans un état comateux, je la regardais prendre de grandes aspirations, de plus en plus douloureuses et plus lentes. C’était vraiment impressionnant. Dans le silence de mon cœur, je priais avec ferveur, comme pour lui dire « Tiens-bon ; accroche-toi« . Je m’approchai d’elle ; je mis ma main sur son épaule, tout en lui parlant. Il y eut alors comme une profonde aspiration, un grand et long soupir … ce fut son dernier.

 

Elle avait expiré entre mes bras. J’avais, bien sûr, déjà eu contact avec la mort. Que de fois, j’étais allé prier près d’un défunt. Jamais je n’avais assisté au dernier soupir d’un mourant. Je restais là, près de Madeleine, à la contempler ; son combat était achevé ; elle reposait ; d’une certaine manière, par-delà la douleur, maintenant elle m’apaisait. En me voyant, il comprit tout de suite. « C’est fini », lui dis-je maladroitement. Avec une grande dignité, il se mit à pleurer … je ne l’avais jamais vu pleurer. Ses mots, pourtant, furent en cet instant admirables de foi et d’espérance. « Non, ce n’est pas fini , me lança-t-il, ce n’est pas fini ! elle est parti vers Dieu, ce n’est donc pas fini ». Ô combien il avait raison ! Jamais je n’oublierai ce moment ; jamais je n’oublierai Madeleine ; je la confie à la miséricorde de Dieu en chacune de mes célébrations eucharistiques.

 

Nombreux sommes-nous à avoir eu contact avec la mort, celle d’un membre de notre famille, d’un ami, d’un proche … Nous savons, nous, que la mort n’est pas la fin de tout mais la rencontre avec Celui qui est Tout. La préface de la messe des défunts, rappelle admirablement que « si la loi de la mort nous afflige, la promesse de l’immortalité nous apporte la consolation« . Elle ajoute même :  » Pour tous ceux qui croient en toi, Seigneur, la vie n’est pas détruite, elle est transformée« .  Nous ne sommes donc pas des êtres humains à gémir sur nos morts comme s’ils étaient anéantis, nous contentant de ressasser avec nostalgie des souvenirs joyeux ou douloureux. Par-delà le vide ressenti, du fait de l’absence tangible de ceux que nous avons tant aimés, nous cheminons en communion avec nos défunts qui, eux non plus, ne nous oublient pas. Tout n’est pas fini ; la route se poursuit … autrement … mais toujours les uns avec les autres, les uns par les autres.

 

Je n’oublie donc pas Madeleine ; elle non plus, j’en suis sûr, ne m’oublie pas. N’oublions pas nos défunts … car eux ne nous oublient pas.

 

Père Gilles Morin, curé