« Heureux ceux qui pleurent »

Je suis Religieux de Saint Vincent-de-Paul. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que vous trouviez, accroché au mur de mon bureau, un tableau du patron de ma congrégation. Plusieurs d’entre vous l’ont sans doute déjà remarqué et admiré. Peut-être ont-ils été frappés par ces quelques mots manuscrits qui se trouvent juste sous le portrait de ce grand saint et qui sont de sa main : « J’ai peine de votre peine ».

L’Evangile des Béatitudes résonne une fois encore en ce dimanche. La seconde d’entre elles peut nous déconcerter et même nous heurter : « Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés ». J’ai souvenir de cette messe étonnante que je concélébrai il y a quelques années dans une chapelle de la périphérie parisienne. Autant vous l’avouer d’emblée : je n’étais guère à l’aise du fait du manque de respect des normes liturgiques édictées par l’Eglise. Il y avait tant de bizarreries. Après la lecture de cet évangile des Béatitudes, l’homélie fut remplacée par un partage spontané de la Parole de Dieu. Plusieurs participants se lancèrent donc dans un ensemble de réflexions, les uns soulignant que telle ou telle de ces paroles du Seigneur les rejoignaient à un titre spécial. Finalement, une femme avoua avec une simplicité empreinte d’une certaine révolte : « Moi, je ne peux supporter d’entendre dire « Heureux ceux qui pleurent » », et de partager divers événements douloureux qui avaient frappés sa vie ou celle de son entourage. À mon grand étonnement, ce fut un grand silence que le prêtre célébrant ne rompit aucunement, laissant cette pauvre femme avec sa révolte, sans chercher à y apporter la moindre réponse. Je n’étais que de passage ; je ne la connaissais pas. Que faire ? Pouvais-je regarder cette femme repartir ainsi, sans une note d’espérance. Sans trop réfléchir, je pris la parole pour dire en substance : « Oui, heureux ceux qui pleurent ; ils montrent qu’ils ont du cœur. Il vaut mieux pleurer que ne pas pleurer. Il vaut mieux avoir un cœur qui se laisse toucher, un cœur de chair, plutôt que se durcir avec un cœur de pierre ». Quelques jours plus tard, je recevais par la poste une très jolie carte porteuse de remerciements de la part de cette inconnue.

Nous connaissons cette parole de l’Apôtre Paul adressée aux chrétiens de la communauté de Rome : « Réjouissez-vous avec qui est dans la joie, pleurez avec ceux qui pleurent » (Rm 12,15). Elles se situent à la suite de cet enseignement sur l’Eglise, corps du Christ, un seul corps possédant plusieurs membres, dans l’unité de l’Esprit. « Un membre souffre-t-il, avait déjà enseigné Paul aux Corinthiens, tous les membres souffrent avec lui » (1 Cor 12,26). Suit alors la merveilleuse hymne à la charité.

J’ose le dire : « Malheureux celui qui ne pleure pas, qui ne pleure jamais » … mais cela est-il possible ? Jésus a pleuré ; Jésus s’est laissé toucher ; Jésus a été pris d’émotion. Et Jésus EST la joie de Notre Père des Cieux. Ayons son cœur.

En ce dimanche, nous allons en pèlerinage près du grand Saint de la Charité : Monsieur Vincent. Heureux, nous dit-il, oui heureux celui qui a un cœur de chair, celui qui sait compatir et agir, pleurer et aimer … Heureux qui sait avoir peine de la peine de ses frères. Il sera l’instrument de Dieu pour consoler ceux qui pleurent ; il sera lui-même consolé.

Père Gilles Morin, curé