Les petits poissons

Aujourd’hui vous est distribué un petit poisson cartonné. Vous le savez sans doute : c’est le signe de reconnaissance des premiers chrétiens au temps des persécutions aux premiers siècles. C’était alors comme un « code secret ». Pourquoi ce choix du poisson ? En fait, il s’agissait d’un cryptogramme. En grec, en effet, « Jésus-Christ, Fils de Dieu, Sauveur » s’écrit « Iesous Christos Theou Uios Soter ». Si l’on prend la première lettre de chacun de ces mots, on obtient « ichtus », ce qui, dans cette langue, signifie « poisson ». C’est vers l’an 200, sous la plume de Tertullien, que nous trouvons la première attestation symbolique de cet acronyme. Elle figure dans son traité sur le Baptême. « Nous, y écrit-il, petits poissons, qui tenons notre nom de notre ichtus (poisson) Jésus-Christ, nous naissons dans l’eau et ce n’est qu’en demeurant en elle que nous sommes sauvés. (…) Le meilleur moyen de faire mourir ces petits poissons : les sortir de l’eau ».

Le poisson qui vous a été remis vous renvoie donc à la grâce de votre baptême et à votre titre de « chrétien ». En cette Journée Mondiale des Pauvres, comment ne pas laisser résonner en nous ces mots de ce père des pauvres, de cet ami des pauvres, de ce modèle de saint immergé au milieu des pauvres ?  Je veux parler de Saint Vincent-de-Paul : « Quoi, s’écriait-il, être chrétien et voir son frère affligé sans pleurer avec lui, sans être malade avec lui ! …C’est être sans charité, c’est être chrétien en peinture. » C’est, finalement, être sorti de l’eau se notre baptême. « Si nous voulons rencontrer réellement le Christ, nous dit le pape François dans son message à l’occasion de cette Journée, il est nécessaire que nous touchions son corps dans le corps des pauvres couvert de plaies, comme réponse à la communion sacramentelle reçue dans l’Eucharistie. Le Corps du Christ, rompu dans la liturgie sacrée, se laisse retrouver, par la charité partagée, dans les visages et dans les personnes des frères et des sœurs les plus faibles. » Ce message, avons-nous pris le temps de le lire et de le méditer en son entier ? Il est de toute beauté. Et le Saint-Père de nous assurer : « Bénies, par conséquent, les mains qui s’ouvrent pour accueillir les pauvres et pour les secourir : ce sont des mains qui apportent l’espérance. Bénies, les mains qui surmontent toutes les barrières de culture, de religion et de nationalité en versant l’huile de consolation sur les plaies de l’humanité. Bénies, les mains qui s’ouvrent sans rien demander en échange, sans ‘‘si’’, sans ‘‘mais’’ et sans ‘‘peut-être’’: ce sont des mains qui font descendre sur les frères la bénédiction de Dieu…/… En ce dimanche, si dans notre quartier vivent des pauvres qui cherchent protection et aide, approchons-nous d’eux : ce sera un moment propice pour rencontrer le Dieu que nous cherchons. » Au terme de cette semaine préparatoire à cette Journée Mondiale pour les pauvres, interrogeons-nous : Nos mains sont-elles vraiment bénies ? Sommes-nous toujours immergés dans l’eau de notre baptême ou en sommes-nous sortis ?

Vous avez en main un petit poisson cartonné. C’est un rappel, c’est une invitation. Y figure une petite phrase toute simple qui commence par le même mot : « Aujourd’hui ». « Aujourd’hui, j’ai une attitude bienveillante avec mon prochain ; aujourd’hui, je souris pour rendre joyeux ceux qui m’entourent ou que je croise ; aujourd’hui, j’appelle un ami que je sais être en difficulté ; aujourd’hui, j’appelle ou je visite une personne malade que je connais ; aujourd’hui, je vais vers une personne âgée qui me semble seule ; aujourd’hui, je prends des nouvelles d’une maman ou d’un papa fatigué(e), débordé(e) ; etc … » Aujourd’hui, pas demain ni après-demain. Faut-il pour autant nous arrêter à cet « aujourd’hui » ? Les membres de nos conférences Saint Vincent-de-Paul font de cet aujourd’hui leur quotidien, de jour en jour. Ils sont au contact des pauvres. Ils ont besoin d’être renforcés. Osons nous y adjoindre. « Dieu aime les pauvres, et par conséquent il aime ceux qui aiment les pauvres » affirmait leur saint patron, Monsieur Vincent. Soyons de bons petits poissons. Surtout, ne sortons pas de l’eau ; pour nous, ce serait mourir.

Père Gilles Morin, curé