Pas seulement écouter mais voir

C’est un garçon pas bien haut, aux yeux noirs et au regard pétillant. Il vient de loin ; il est originaire du Liban. Il est poli et bien élevé. L’une de nos paroissiennes m’a raconté comment elle avait été abordée par lui il y a quelques jours :

–          Madame, est-ce que vous voulez un billet de tombola … s’il vous plaît ?

Tout en sortant son porte-monnaie, elle lui demande :

–          Est-ce que tu vas au patro ?

–          Oui, madame

–          Tu es chrétien ?

–          Non, madame, je suis musulman.

Et ce petit s’empresse d’ajouter :

–          mais je vais à l’église avec les autres enfants et j’aime bien qu’on me parle de la vie de Jésus.

Effectivement, il n’y a pas à le pousser, à le traîner, à se fâcher. Il est toujours parmi les premiers à franchir avec son groupe la porte de l’église pour ce temps de prière qui marque chaque après-midi de patro. Il entend ainsi parler de Jésus, sans voir toutefois qui il est vraiment. Un jour viendra, je l’espère, où avec les yeux de la foi, il découvrira combien ce Jésus est « lumière du monde ». Je l’espère et je prie à cette intention : « Seigneur, fais que ce petit libanais, un jour, te voit ».

 

C’est une dame d’âge déjà mûr, aux yeux dont je ne saurais vous dire la couleur. Vous l’avez sans doute remarquée : elle avance en tâtonnant avec sa canne blanche. Je l’apercevais hier soir, venant pour le chemin de croix. Quel courage !  Voilà une femme prête à tout pour arriver à l’Eglise et s’unir à la Passion du Christ. Elle aussi aime bien entendre parler de Jésus, mais par-delà sa cécité, elle Le voit, elle est irradiée de Sa lumière intérieure.

 

Nos catéchumènes, eux-aussi, aiment bien entendre parler de Jésus. Ils le connaissent de mieux en mieux. Leurs yeux se sont ouverts à Celui qui est devenu leur Lumière. Dans la nuit de Pâques, le Christ les illuminera et les sanctifiera.

 

Et nous qui avons été baptisés dans le Christ ? Aimons-nous venir à l’Eglise pour entendre parler de Jésus ?…  pas seulement l’écouter mais aussi le voir ? Nous avons des yeux, certes, mais qu’en faisons-nous … que regardons-nous ? Quelle est, en effet, la lumière qui irradie nos journées et ensoleille notre vie ? Pouvons-nous affirmer sans hésiter : Le Christ ? … oui, le Christ, … premier contemplé, premier écouté, parce que le premier aimé.

 

Père Gilles Morin

Curé

De la crasse à la splendeur

J’ai déjà eu à parler d’elle. Je ne connais ni son nom ni son histoire mais cette femme m’est chère. Elle a ses habitudes, ses lieux privilégiés où elle reste assise des heures durant, dans le froid de la rue ou sur le quai d’un métro. Son psychisme est ébranlé ; ses ballots de vieux journaux le manifestent et une simple discussion avec elle l’atteste.

 

Elle est sale … très sale … et l’odeur nauséabonde qui en émane empuantit ses alentours. Certains passants font un détour ; d’autres pressent leurs pas en retenant leur respiration. Parfois, l’un ou l’autre s’arrête pour se livrer à un brin de cosette. Les ragots les plus invraisemblables courent sur elle. Sans nul doute, cette femme est une pauvre … et Dieu aime les pauvres … et … « Dieu aime qui aime les pauvres » (St Vincent-de-Paul).

 

L’épisode évangélique de la transfiguration du Christ, que l’Eglise nous donne à méditer en ce second dimanche de carême, est pour nous une véritable invitation. Le pape Jean-Paul II affirmait qu’il est « comme une icône de la contemplation chrétienne ». Et il ajoutait : « Fixer les yeux sur le visage du Christ, en reconnaître le mystère dans le chemin ordinaire et douloureux de son humanité, jusqu’à en percevoir la splendeur divine définitivement manifestée dans le  Ressuscité glorifié à la droite du Père, tel est le devoir de tout disciple du Christ ».

 

Fixer les yeux sur le visage du pauvre, c’est fixer les yeux sur le visage du Christ. Reconnaître dans le pauvre le mystère ordinaire et douloureux de son humanité, c’est laisser vibrer en notre cœur le mystère de la Passion du Christ et nous y unir. Certes, sur le Thabor, Jésus était resplendissant de gloire. Mais que je sache, il ne devait guère sentir bon ni être propre lorsqu’il était cloué sur sa croix.

 

Alors, s’il vous plaît : si vous passez près de cette femme, regardez-la et aimez-la. Elle se tient parfois boulevard Victor. Approchez-la ; Saluez-la ; Serrez-lui la main. « N’ayez pas peur », nous dirait Jean-Paul II. Cette pauvresse crasseuse a une dimension lumineuse. Je ne saurais l’expliquer mais il y a dans son regard une lueur, dans certaines de ses attitudes comme une grâce. J’imagine qu’il fût un temps où elle était belle. Je sais qu’il y aura un autre temps où elle sera très belle, d’une beauté céleste, …toute odorante des parfums célestes …  son visage « brillant comme le soleil, et ses vêtements, blancs comme la lumière ». Cette femme, défigurée par les drames d’ici-bas sera transfigurée dans l’au-delà.

 

 

Père Gilles Morin

curé