De la crasse à la splendeur

J’ai déjà eu à parler d’elle. Je ne connais ni son nom ni son histoire mais cette femme m’est chère. Elle a ses habitudes, ses lieux privilégiés où elle reste assise des heures durant, dans le froid de la rue ou sur le quai d’un métro. Son psychisme est ébranlé ; ses ballots de vieux journaux le manifestent et une simple discussion avec elle l’atteste.

 

Elle est sale … très sale … et l’odeur nauséabonde qui en émane empuantit ses alentours. Certains passants font un détour ; d’autres pressent leurs pas en retenant leur respiration. Parfois, l’un ou l’autre s’arrête pour se livrer à un brin de cosette. Les ragots les plus invraisemblables courent sur elle. Sans nul doute, cette femme est une pauvre … et Dieu aime les pauvres … et … « Dieu aime qui aime les pauvres » (St Vincent-de-Paul).

 

L’épisode évangélique de la transfiguration du Christ, que l’Eglise nous donne à méditer en ce second dimanche de carême, est pour nous une véritable invitation. Le pape Jean-Paul II affirmait qu’il est « comme une icône de la contemplation chrétienne ». Et il ajoutait : « Fixer les yeux sur le visage du Christ, en reconnaître le mystère dans le chemin ordinaire et douloureux de son humanité, jusqu’à en percevoir la splendeur divine définitivement manifestée dans le  Ressuscité glorifié à la droite du Père, tel est le devoir de tout disciple du Christ ».

 

Fixer les yeux sur le visage du pauvre, c’est fixer les yeux sur le visage du Christ. Reconnaître dans le pauvre le mystère ordinaire et douloureux de son humanité, c’est laisser vibrer en notre cœur le mystère de la Passion du Christ et nous y unir. Certes, sur le Thabor, Jésus était resplendissant de gloire. Mais que je sache, il ne devait guère sentir bon ni être propre lorsqu’il était cloué sur sa croix.

 

Alors, s’il vous plaît : si vous passez près de cette femme, regardez-la et aimez-la. Elle se tient parfois boulevard Victor. Approchez-la ; Saluez-la ; Serrez-lui la main. « N’ayez pas peur », nous dirait Jean-Paul II. Cette pauvresse crasseuse a une dimension lumineuse. Je ne saurais l’expliquer mais il y a dans son regard une lueur, dans certaines de ses attitudes comme une grâce. J’imagine qu’il fût un temps où elle était belle. Je sais qu’il y aura un autre temps où elle sera très belle, d’une beauté céleste, …toute odorante des parfums célestes …  son visage « brillant comme le soleil, et ses vêtements, blancs comme la lumière ». Cette femme, défigurée par les drames d’ici-bas sera transfigurée dans l’au-delà.

 

 

Père Gilles Morin

curé