Vies ôtées, vies données

 

Des corps étendus et ensanglantés, des vies ôtées et brisées, une violence insupportable et inacceptable : l’actualité vient d’étaler sous nos yeux un drame qui vient de frapper notre pays et a suscité à juste titre une vague de réprobation et de vive émotion. L’événement nous touche de près, mais nous ne devons pas oublier qu’il est le lot quasi quotidien de tant de nos frères en humanité répandus à travers le monde qui nous laisse trop souvent et injustement dans l’indifférence.

 

Il y a 28 ans et 29 ans, deux corps étaient étendus, jonchés sur le sol d’une église. C’étaient ceux de deux jeunes hommes, Emmanuel du Boibaudry et Jean-Louis Gallet. Aucune flaque de sang coulant de leur corps apparemment inerte, certes, mais le sang du Christ irrigant tout leur être et disposant leur âme à l’offrande totale de leur vie. C’était le grand jour de leur Profession religieuse perpétuelle. Aucune agression ni violation mais une totale oblation. Pas de vie brisée mais un cœur consacré et embrasé. En toute liberté, ces deux jeunes religieux répondaient à l’appel définitif du Seigneur en donnant à la grâce de leur baptême une radicalité  particulière qui les configurait au Christ jusque dans leur forme de vie. Un tel pas ne peut se franchir que si l’on s’est laissé amoureusement saisir. Vivre : nous sommes faits pour vivre. Une vie ôtée est une vie brisée ; voilà qui doit nous révolter. Une vie offerte est une vie transfigurée ; voilà qui doit nous émerveiller et nous entraîner.

 

En cette fête du baptême du Seigneur, l’apôtre Jean se plaît à nous rappeler qu’on ne saurait dissocier la gloire de la croix.  « C’est lui, Jésus-Christ, nous dit-il, qui est venu par l’eau et par le sang : non pas seulement avec l’eau, mais avec l’eau et avec le sang ». Le baptême est une immersion dans la mort et la résurrection du Christ. Les premiers Pères de l’Eglise, dans leurs catéchèses mystagogiques,  se sont plu à souligner que le catéchumène, dans son immersion baptismale, fermait spontanément les yeux. Il les rouvrait comme homme nouveau, illuminé par le Christ, pour vivre désormais de sa vie, lui ressembler, aimer comme Lui, servir comme Lui, se donner comme Lui, vivre de sa sainteté à Lui.

 

Le Père Emmanuel et le Père Jean-Louis s’offrent à nouveau dans la foi et la joie d’un don sans cesse renouvelé. Avec Jésus, ils nous disent : « Ma vie, nul ne la prend mais c’est moi qui la donne ». Ils nous invitent ainsi à raviver la grâce de notre propre baptême : « Souviens-toi que tu es fait pour vivre de la vie du Christ, nous lancent-ils ; rappelle-toi que tu es le fils ─ la fille ─ tant aimé du Père qui veut trouver en toi sa joie. Offre ; offre-toi ; offre tout. Que ta vie tout entière soit oblation ! ». Dans la ferveur de leur consécration renouvelée, nos deux Pères nous confirment ces paroles du Père Le Prevost, notre fondateur : « C’est une chose si douce que de se perdre ainsi dans l’amour infini, qu’après s’être donné, on veut se redonner encore, sans se reprendre, mais en se donnant plus pleinement ». Ne passons pas à côté d’une telle joie.

 

Père Gilles Morin,

Curé